Le Cadeau du Christ - Tome 1 - Le secret de Malte

Le cadeau du christ livre 1

Le Cadeau du Christ - Tome 1 Le secret de Malte

Dans le bureau de l’Archevêque Adriano Bernardini, Marcus Egrégore ressentait le trouble lourd qui s’était emparé des lieux. L’atmosphère n’était pas seulement celle d’un pays en guerre occupé à organiser la sauvegarde de son patrimoine historique et religieux. Un autre encens brumeux brouillait l’ambiance. Cette odeur de malaise était accentuée par les tristes visages fermés et transpirait des regards absents, cachés volontairement de la lumière des cierges. Malgré l’inquiétude particulière que révélait le sombre duo qui accueillait Marcus, il respecta le protocole. Ne pouvant embrasser la bague de ses deux éminences grises, il s’inclina en silence, portant la main droite à son cœur, avant de prendre un siège et de s’asseoir. En préliminaire, il aurait pu remercier de cette audience les deux prélats qui s’abaissaient à le recevoir. Toutefois, Marcus Egrégore n’avait pas demandé à être entendu. Il était l’invité obligé des deux hommes de Dieu, et c’était son devoir que de répondre aux missions que le Saint-Siège lui donnait à poursuivre. Ainsi, aussi important que ces prélats fussent dans l’organisation du Saint-Siège, Marcus espérait que le duo ne serait pas avare en explications.

Marcus Egrégore observait les deux hommes. Comme de coutume, l’Archevêque Adriano Bernardini portait sa cape brodée d’or qui lui couvrait le corps. Son visage était froid nonobstant un léger rictus qui se voulait rassurant. A sa droite, l’hôte du Messager Apostolique, sous un capuchon dissocié de son habit, ne laissait apparaître que le pâle bout de son nez qui brillait légèrement. Protégé derrière sa chape noire décorée d’une Croix rouge, il gardait volontairement secrets et son visage et l’appartenance à son Ordre. La curiosité de Marcus n’en était que plus grande. Ce n’était pas là l’accoutrement signalant le ralliement d’un Dominicain et nullement celui d’un Prêtre Noir de la Compagnie de Jésus. Le silence, ordonné sans mot, accentuait l’impatience qui gagnait le serviteur de l’Eglise. Une Croix de Jérusalem sur un manteau blanc aurait été claire à comprendre et aurait signifié un dignitaire de l’Ordre équestre des Chevaliers du Saint-Sépulcre, la seule organisation pontificale accréditée pour intervenir en Orient. Une Croix blanche sur un manteau noir aurait déterminé l’obédience suivie, celle des Chevaliers de Malte. Mais les dernières nouvelles de leur île en Méditerranée n’étaient pas des meilleures et on entendait déjà que l’institution n’était plus que l’ombre d’elle-même, depuis que les Français en avaient chassé les Chevaliers.

Que désignait donc la signature du Christ en Gueule sur fond de Sable que portait fièrement ce prélat camouflé ? La tenue révélait, à Marcus Egrégore, une nature religieuse bien étrangère aux offices appartenant classiquement à l’Eglise Catholique. « Un Cardinal Souverain… ? » pensa Marcus. « Ainsi, j’ai à faire à un prélat qui gouverne une terre. Seul le Grand Maître des Chevaliers de Malte peut s’enorgueillir de cette position. »

Un autre temps semblait s’inviter dans l’ombre. Si Marcus Egrégore était ici pour en connaître plus sur les raisons de son retour à Rome, quelque chose lui disait que la compréhension de la Règle monastique qu’embrassait son Eminence Souveraine Urbin Vasco, entrait dans les prérequis. Car tout faisait penser à l’observateur silencieux que ce prélat relevait d’un Ordre régulier et non séculier.

Les trois hommes, assis en un triangle parfait autour de la table massive, s’observaient dans le silence, sous les lumières vacillantes des cierges. Un geste de la main de l’Archevêque, brisa l’attente. La parole pouvait être donnée.

- Maître et Frère Marcus Egrégore, laissez-moi vous présenter son Eminence Souveraine, Urbin Vasco.

- Mes respects Votre Eminence, lança-t-il avec considération mais sans grande conviction.

- Son Eminence est, depuis peu, chargé par le Saint-Siège des affaires particulières de la Papauté sur les questions spécifiques qui regardent l’Orient.   

- C’est un honneur pour moi de faire votre connaissance. Toutefois, je me permets de m’interroger. Je pensais que la tâche de répondre aux questions d’Orient incombait directement et obligatoirement à l’Ordre Equestre des Chevaliers du Saint-Sépulcre de Jérusalem. Je devais certainement me tromper. Eminence, j’espère en tout cas que vous avez fait bon voyage, car je doute que vous résidiez ici, à Rome.

L’affirmation et l’impertinence de Marcus Egrégore avaient de quoi surprendre. Son Eminence Vasco aurait pu garder le silence, mais il choisit de répondre.

- Nous ne vous connaissons que par les louanges de Monseigneur l’Archevêque qui nous a assuré de votre parfaite loyauté. Vous appartenez au tiers-état de l’Ordre des Frères prêcheurs, nos amis les Dominicains. Malgré des extravagances qui n’enlèvent rien à votre piété, nous vous trouvons intéressant Maître Marcus, bien que vous sembliez peu orthodoxe dans vos choix comme dans vos actions. L’implication de votre acolyte… Judas ? C’est bien cela ? n’est certainement pas étrangère à l’affaire. Mais passons outre… Nous allons vous répondre… Nous avons quitté en effet Naples ce matin, un peu avant l’aube. Le sauf conduit de la Papauté est un produit rare même pour celui qui appartient directement au Saint-Siège. Mais nous avons été rassurés de voir qu’il fonctionnait encore auprès des détenteurs d’une certaine autorité. Une autorité fantoche, néanmoins, sans réel pouvoir ! Nous parlons de ces hommes à qui, dans les campagnes, est confié le contrôle des routes. Des officiers italiens, tous plus Chrétiens les uns que les autres. Etrange constat, nous direz-vous, puisque ces militaires restent surtout attentifs à la conclusion que les armes donneront dans le nord, plus qu’aux documents nécessaires pour circuler sur les voies d’Italie. Ils restent plus que jamais suspendus, attentifs aux combats auxquels ils ne participeront pas et qui devraient leur confirmer la conviction qu’ils auront bientôt l’obligation d’embrasser. C’est là toute la tristesse de ce constat. L’Italie est divisée, désunie, alors que son peuple garde, bien heureusement, une unité parfaite dans une foi inébranlable en la seule religion du Christ.

Marcus Egrégore se garda bien de révéler son sentiment sur le peuple dont parlait le Cardinal Vasco. Etre misanthrope n’est pas une caractéristique compatible avec la religion chrétienne dictée à Rome. Ce défaut lui permettait, cependant, d’asseoir une réflexion sur ses jugements qui n’étaient jamais hâtifs. Lorsqu’on se permet de détester tout le monde, on est en droit de ne faire confiance à personne.