Enquête de l'Ordre du Temple à Florence, 1311

Le Tome III de Thierry Rousseau de Saint-Aignan, traduit les documents en latin de l'enquête instituée par l'inquisition, contre l'Ordre du Temple en 1311

Proces de l ordre du temple thierry rousseau de saint aignanTOME III

Procès de l'Ordre du Temple - Traduction française de l'Enquête de Florence en 1311

Bien avant la signature de l’acte d’arrestation orchestré par le Roi Philippe le Bel, le 13 octobre 1307, une rumeur s’élevait dans tout le Royaume de France. Le bruit de la perversion et des vices auxquels prenaient part les membres de la Chevalerie de l’Ordre du Temple, commençait à se faire entendre. Et ce bruit, devait finir par revenir aux oreilles d’un Roi qui l’avait orchestré, au travers du témoignage de plusieurs personnes, dont d’anciens Templiers.

D’aucuns racontaient en effet, que l’Ordre était souillé et infecté par d’abominables crimes. Les Templiers étaient soupçonnés de professer de monstrueuses choses dans leurs Réceptions, ces réunions qu’ils officiaient dans le silence de la nuit, dans le plus strict des secrets. Il était dit, que sur ordre de leurs Maîtres, ils pratiquaient entre eux des attouchements obscènes, qu’ils se baisaient aux parties honteuses, qu’ils crachaient et urinaient sur des crucifix, qu’ils foulaient la Croix aux pieds. Mais les rumeurs ne s’arrêtaient cependant pas là. Des actions interdites se professaient au milieu d’un peuple de Chevaliers et de Servants qui rejetait Dieu et le Christ, la Vierge Marie et les Saints. L’Ordre du Temple, créé pour préserver les Lieux Saints de Palestine des infidèles, semblait se révéler n’être qu’une secte païenne, voire, diabolique et hérétique.

Comme des idolâtres, les Gens du Temple s’accordaient pour adorer en secret, une tête, avec la plus grande des ferveurs. Leurs propres Prêtres, consentis par la confirmation d’un Pape, célébraient la Messe noire, en omettant volontairement de proférer les paroles de consécration que justifiait l’usage. Les Chevaliers, bien que soumis au vœu de chasteté le plus strict, s’adonnaient au commerce avec des femmes, et pratiquaient entre eux, la sodomie et les attouchements contre nature, comme des amants promis…

Les rumeurs se faisant plus solides et grossissantes, le Roi de France, au couvert de sa justice, prit enfin le parti d’intervenir. Une stratégie fut mise en place. Proposée et suivie par Nogaret, pourtant fils d’hérétique – son père était albigeois – elle devait permettre en un jour, de mettre au pas une force militaire et religieuse qui comptait pourtant en France en 1307, près de 15.000 cavaliers aguerris, les Nobles Chevaliers du Temple, et plus de 35.000 Sergents d’armes, les Servants de l’Ordre.

Cette stratégie n’était cependant pas une invention née de l’esprit servile de Nogaret. Elle ne se pliait pas à s’appuyer simplement sur une réflexion tactique proposée par un grand militaire, habitué à exercer ses talents sur les champs de bataille. Elle était librement inspirée par la connaissance de faits bibliques, que même Rome et son Pape avaient canonisée comme une Vérité. Cette vérité était tirée d’un Livre Saint : Le Livre d’Esther, Chapitre 3, versets 8 à 15. 

Fondé au commencement du XIIe Siècle, l’Ordre du Temple avait pour objet dès son origine, la défense des lieux Saints de Palestine, lieu où l’Eternel avait sacrifié son Fils Jésus-Christ pour sauver le genre humain. Moines ET Soldats, à la différence des Ordres Militaires de l’époque, comme ceux des Chevaliers Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem qui étaient Moines OU Soldats, les Templiers réunissaient en eux les deux forces qui se partageaient le monde Chrétien : l’Epée et la Croix.

En moins de deux siècles, ils avaient acquis un respect, une noblesse que seul, comme il était dit, un caractère sacré pouvait leur conférer. Et ce caractère se reflétait dans d’immenses richesses financières et matérielles, comme les châteaux, les terres cultivables, les forêts, les fabriques, les forges, les fours et les greniers. Au-delà de cette puissance terrestre, s’élevaient des droits religieux et ecclésiastiques, comme ceux de tenir des Eglises, des Cimetières, mais également de financer en fonds propres, la construction de toutes les Cathédrales de France. Dans toutes les Provinces du Royaume, les habitants, nobles comme paysans libres, faisaient des donations à l’Ordre, et ce, dans un seul but : le salut de leur propre âme.

Toutefois, la puissance de l’Ordre du Temple n’émanait pas seulement de ses capacités financières et de ses richesses terriennes. Elle s’appuyait également sur une capacité inégalée de projection militaire. En dehors des Servants et des Sergents d’armes qui portaient seulement l’habit noir étiqueté de la Croix Pattée Rouge, le Chevalier Templier, tout de blanc vêtu, était noble, il était armé, il savait se battre. Et ces Chevaliers Templiers étaient nombreux, car sans avenir. En effet, la terrible responsabilité qui incombait aux membres de l’Ordre du Temple lorsqu’ils étaient Chevaliers, était de respecter les trois Règles de Chasteté, de Pauvreté et d’Obéissance, si contraire aux accusations que la rumeur criait. Et un noble Chevalier ne peut respecter les deux premières Règles, s’il est l’héritier d’un domaine, du titre de son père et de la fortune familiale. Car il faut se rappeler qu’à cette époque, dans une famille qui possède des biens, et plus exactement pour la noblesse, la richesse et les titres ne sont en droits que d’un seul, l’aîné mal. Il en ressort que du vivant de leur frère, les puînés ne peuvent prétendre à aucun héritage, sans l’obligeance de leur frère aîné. C’est ainsi que l’Ordre du Temple va recevoir l’adhésion des enfants de nobles, qui n’étant pas bien nés, devaient s’attacher à suivre par obligation et bien malgré eux, la deuxième place réservée aux suivants : celle d’embrasser la Croix et son habit.

L’Ordre du Temple va ainsi voir grossir ses rangs de Chevaliers Nobles, qui préféreront s’offrir à la vie régulière monastique et militaire plutôt qu’à la vie séculaire des prêtres et autres ecclésiastiques.

Avec la montée en puissance reconnue de l’Ordre du Temple, se propageait une sorte de haine contre lui. On disait les Templiers orgueilleux et négligent sur ce qui les avait fait naître, la défense des lieux Saints de Palestine. Rappelons-nous qu’à partir de 1291, il n’existe plus physiquement d’Ordre du Temple d’Orient, la dernière possession de Terre Sainte, Saint-Jean d’Acres, ayant été conquise par les Musulmans. De plus, vers le milieu du XIIIe Siècle, la conduite des Templiers d’Orient et leur rivalité avec les Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem fixèrent l’attention du Pape Grégoire X, qui, pour régler les problèmes et secourir plus avantageusement la Terre Sainte, envisagea de regrouper les deux Ordres en un seul. Bien que le Concile de Lyon rejetât cette proposition en 1274, le projet était relancé en 1291. Ce fut un nouvel échec, le Grand Maître de l’Ordre du Temple confirmant que ce regroupement ne pouvait avoir de lien solide, puisque l’inimitié qui existait entre les Templiers et les Hospitaliers était une division insurmontable. Ainsi, nous voyons que l’autorité du Grand Maître de l’Ordre du Temple, suffisait pour s’opposer au Pape. Ajoutons que Jacques de Mollay, à la veille de l’arrestation des Chevaliers du Temple, souhaitait pousser le Saint-Siège à une nouvelle Croisade, en lui imposant de commander aux Souverains et aux Rois d’Europe d’y répondre par obligation chrétienne.

Les Templiers étaient suffisamment puissants pour garder leur indépendance. Cette liberté leur permettait d’imposer, si ce n’était leur volonté, du moins leur point de vue. Cette indépendance, le Grand Maître pouvait l’imposer autant au Pape, qu’aux Rois du Monde Chrétien. Et Philippe le Bel s’en rendit compte en 1306, un an avant la rédaction de l’acte d’arrestation des Chevaliers du Temple. En effet, la variation des monnaies qu’avaient orchestrée le Roi et ses conseillers pour satisfaire au renflouage des caisses de l’Etat, avait créé une inflation galopante : la valeur des loyers fut multipliée par trois. Cette résolution entraîna la révolte du peuple de Paris qui investissait les rues de la Capitale. C’était l’émeute ! Le Roi de France craignant pour sa vie, ne dut sa sauvegarde qu’à la bonne volonté de l’Ordre du Temple. Philippe le Bel trouva en effet asile, au Temple de Paris, qui fut assiégé par la population durant plusieurs jours.

Ainsi, l’Ordre du Temple pouvait protéger un Roi, réduit à se mettre sous la protection de Chevaliers qui ne lui répondaient en rien, mais, en apparence, obéissaient uniquement au Saint-Siège et à son Pape. L’humiliation passée, la peur ne quitta plus Philippe le Bel. Cet épisode ne pouvait être que les prémices d’un coup d’Etat. Dès lors, la perte des Templiers était inévitablement arrêtée. C’est là, que Philippe le Bel eut l’audacieuse idée d’utiliser la rumeur pour arriver à ses fins.

Dans les cachots du Royaume de France, la justice y laissait volontiers mourir les voleurs et les détrousseurs de tout gabarit. Au milieu de condamnés qui n’avaient plus rien à perdre, le mensonge pouvait se mélanger à la vérité, pour une miette de pain en plus à l’ordinaire ou pour tenter la chance, dans l’espoir d’être libéré. Plusieurs de ces brigands prétendirent pouvoir révéler de grands secrets sur le Temple et sur les hommes qui le composaient. Ces confidences, bien évidemment, ne pouvaient cependant n’être révélées qu’au Roi. C’est ainsi que Philippe le Bel entendit par le plus grand des hasards, que des prisonniers condamnés pour des faits méprisables voulaient se confesser à lui. Que cela ne tienne, l’homme le plus important du Royaume s’abaissa, contre toute logique, à écouter ses assassins enfermés pour leurs crimes.

Voilà comment le Roi aurait entendu de la bouche d’un ancien Templier enfermé dans une prison royale, la confidence d’un de ses compagnons d’infortune. Ces révélations portaient sur de graves accusations, notamment sur les désordres immoraux qui se dérouleraient dans l’Ordre du Temple. Elles parlaient de pratiques hérétiques, d’apostasie et de mœurs dépravées. Quelle aubaine ! Philippe le Bel pouvait faire naître le doute et jouer de naïveté. Sans rien chercher à confirmer officiellement sur ces ouï-dire, il s’empressa d’informer de ces affabulations, le Pape Clément V en 1306, lors d’un premier entretien. Ce dernier refusa d’y ajouter foi. Mais le Roi de France ne veut pas s’arrêter là. Il rencontre une nouvelle fois le Pape Clément à Poitiers, et, certain des révélations qu’il a à soutenir contre l’Ordre, Philippe le Bel demande sa suppression immédiate. L’exigence est grave. Le Pape Clément promet alors d’ordonner une enquête, en imposant toutefois au Roi d’attendre et de ne pas prendre de décision sans un accord commun. Philippe le Bel n’attendra pas.

Bibliographie

Table des Matières du Tome III