Introduction au Traité d'Athénagore sur la Résurrection des Morts

Introduction au Traité d'Athénagore sur la Résurrection des Morts

Traité d'Athénagore sur la Résurrection des Morts - In libro de mysteriis antiquis

Athénagore, est un personnage peu connu, en raison des lacunes historiques et biographiques qui parsèment l’histoire de sa vie. Considéré comme un Philosophe dogmatique Chrétien, il serait, comme son nom l’indique, Athénagoras d’Athènes, originaire de cette Cité Antique. Né dans les années 130 après Jésus-Christ, il est enfant lorsque règne sur l’Empire Romain, l’Empereur Hadrien. Surnommé le Petit Grec, cet Empereur, curieux des choses qui regardent la Philosophie et pationné d’écrits sur la mythologie, est un fervant admirateur du monde Hellénistique. Les Grecs, en effet, ont toujours été considérés par Rome, maîtresse de l’Empire, comme les détenteurs d’un savoir et d’une sagesse inégalée.  

La jeunesse d’Athénagore se déroule principalement, durant le règne de l’Empereur Antonin, qui tend à promulguer une paix avec ses voisins et préfère pour cela, stopper la politique expansionniste de ses prédécesseurs. L’Empire, bien malgré lui, Rome s’étend enrichie par les conquêtes, embrasse la paix défensive, qui bien que relative, impose une période de prospérité intellectuelle. Une période si faste, qu’elle permet l’éclosion de pensées originales et la pénétration d’une religion nouvelle, celle du Christiannisme naissant.

Le Symbole personnifié de cette nouvelle Religion, et qui reste bien présent dans la mémoire des contemporains d’Athénagore, n’est pas prioritairement Jésus-Christ, mais Saint Paul. Celui-ci, parcourait avec ses fidèles toutes les provinces romaines, afin d’y apporter la parole du Seigneur. Au milieu du IIe Siècle après Jésus-Christ, en effet, Saint Paul n’est mort que depuis un siècle, laissant ses Épitres à la postérité. Celle de la Première Lettre aux Thessaloniciens, aux Chapitres 3 à 5, est destinée aux Grecs : « C’est pourquoi, impatients que nous étions, et nous décidant à rester seuls à Athènes, nous envoyâmes Timothée, notre frère, ministre de Dieu dans l’Évangile de Christ, pour vous affermir et vous exhorter au sujet de votre foi, afin que personne ne fût ébranlé au milieu des tribulations présentes ; car vous savez vous-mêmes que nous sommes destinés à cela. Et lorsque nous étions auprès de vous, nous vous annoncions d’avance que nous serions exposés à des tribulations, comme cela est arrivé, et comme vous le savez. Ainsi, dans mon impatience, j’envoyai m’informer de votre foi, dans la crainte que le tentateur ne vous eût tentés, et que nous n’eussions travaillé en vain. Mais Timothée, récemment arrivé ici de chez vous, nous a donné de bonnes nouvelles de votre foi et de votre charité, et nous a dit que vous avez toujours de nous un bon souvenir, désirant nous voir comme nous désirons aussi vous voir. En conséquence, frères, au milieu de toutes nos calamités et de nos tribulations, nous avons été consolés à votre sujet, à cause de votre foi. Car maintenant nous vivons, puisque vous demeurez fermes dans le Seigneur. Quelles actions de grâces, en effet, nous pouvons rendre à Dieu à votre sujet, pour toute la joie que nous éprouvons à cause de vous, devant notre Dieu ! Nuit et jour, nous le prions avec une extrême ardeur de nous permettre de vous voir, et de compléter ce qui manque à votre foi. Que Dieu lui-même, notre Père, et notre Seigneur Jésus, aplanissent notre route pour que nous allions à vous ! Que le Seigneur augmente de plus en plus parmi vous, et à l’égard de tous, cette charité que nous avons nous-mêmes pour vous, afin d’affermir vos coeurs pour qu’ils soient irréprochables dans la sainteté devant Dieu notre Père, lors de l’avènement de notre Seigneur Jésus avec tous ses saints ! Au reste, frères, puisque vous avez appris de nous comment vous devez vous conduire et plaire à Dieu, et que c’est là ce que vous faites, nous vous prions et nous vous conjurons au nom du Seigneur Jésus de marcher à cet égard de progrès en progrès. Vous savez, en effet, quels préceptes nous vous avons donnés de la part du Seigneur Jésus. Ce que Dieu veut, c’est votre sanctification ; c’est que vous vous absteniez de l’impudicité ; c’est que chacun de vous sache posséder son corps dans la sainteté et l’honnêteté, sans vous livrer à une convoitise passionnée, comme font les païens qui ne connaissent pas Dieu ; c’est que personne n’use envers son frère de fraude et de cupidité dans les affaires, parce que le Seigneur tire vengeance de toutes ces choses, comme nous vous l’avons déjà dit et attesté. Car Dieu ne nous a pas appelés à l’impureté, mais à la sanctification. Celui donc qui rejette ces préceptes ne rejette pas un homme, mais Dieu, qui vous a aussi donné son Saint-Esprit. Pour ce qui est de l’amour fraternel, vous n’avez pas besoin qu’on vous en écrive ; car vous avez vous-mêmes appris de Dieu à vous aimer les uns les autres, et c’est aussi ce que vous faites envers tous les frères dans la Macédoine entière. Mais nous vous exhortons, frères, à abonder toujours plus dans cet amour, et à mettre votre honneur à vivre tranquilles, à vous occuper de vos propres affaires, et à travailler de vos mains, comme nous vous l’avons recommandé, en sorte que vous vous conduisiez honnêtement envers ceux du dehors, et que vous n’ayez besoin de personne. Nous ne voulons pas, frères, que vous soyez dans l’ignorance au sujet de ceux qui dorment, afin que vous ne vous affligiez pas comme les autres qui n’ont point d’espérance. Car, si nous croyons que Jésus est mort et qu’il est ressuscité, croyons aussi que Dieu ramènera par Jésus et avec lui ceux qui sont morts. Voici, en effet, ce que nous vous déclarons d’après la parole du Seigneur : nous les vivants, restés pour l’avènement du Seigneur, nous ne devancerons pas ceux qui sont morts. Car le Seigneur lui-même, à un signal donné, à la voix d’un archange, et au son de la trompette de Dieu, descendra du ciel, et les morts en Christ ressusciteront premièrement. Ensuite, nous les vivants, qui seront restés, nous serons tous ensemble enlevés avec eux sur des nuées, à la rencontre du Seigneur dans les airs, et ainsi nous serons toujours avec le Seigneur. Consolez-vous donc les uns les autres par ces paroles. Pour ce qui est des temps et des moments, vous n’avez pas besoin, frères, qu’on vous en écrive. Car vous savez bien vous-mêmes que le jour du Seigneur viendra comme un voleur dans la nuit. Quand les hommes diront : Paix et sûreté ! Alors, une ruine soudaine les surprendra, comme les douleurs de l’enfantement surprennent la femme enceinte, et ils n’échapperont point. Mais vous, frères, vous n’êtes pas dans les ténèbres, pour que ce jour vous surprenne comme un voleur ; Vous êtes tous des enfants de la lumière et des enfants du jour. Nous ne sommes point de la nuit ni des ténèbres. Ne dormons donc point comme les autres, mais veillons et soyons sobres. Car ceux qui dorment dorment la nuit, et ceux qui s’enivrent s’enivrent la nuit. Mais nous qui sommes du jour, soyons sobres, ayant revêtu la cuirasse de la foi et de la charité, et ayant pour casque l’espérance du salut. Car Dieu ne nous a pas destinés à la colère, mais à l’acquisition du salut par notre Seigneur Jésus Christ, qui est mort pour nous, afin que, soit que nous veillons, soit que nous dormions, nous vivions ensemble avec lui. C’est pourquoi exhortez-vous réciproquement, et édifiez-vous les uns les autres, comme en réalité vous le faites. Nous vous prions, frères, d’avoir de la considération pour ceux qui travaillent parmi vous, qui vous dirigent dans le Seigneur, et qui vous exhortent. Ayez pour eux beaucoup d’affection, à cause de leur oeuvre. Soyez en paix entre vous. Nous vous prions aussi, frères, avertissez ceux qui vivent dans le désordre, consolez ceux qui sont abattus, supportez les faibles, usez de patience envers tous. Prenez garde que personne ne rende à autrui le mal pour le mal ; Mais poursuivez toujours le bien, soit entre vous, soit envers tous. Soyez toujours joyeux. Priez sans cesse. Rendez grâces en toutes choses, car c’est à votre égard la volonté de Dieu en Jésus Christ. N’éteignez pas l’Esprit. Ne méprisez pas les prophéties. Mais examinez toutes choses ; Retenez ce qui est bon ; Abstenez-vous de toute espèce de mal. Que le Dieu de paix vous sanctifie lui-même tout entier, et que tout votre être, l’esprit, l’âme et le corps, soit conservé irrépréhensible, lors de l’avènement de notre Seigneur Jésus Christ ! Celui qui vous a appelés est fidèle, et c’est lui qui le fera. Frères, priez pour nous. Saluez tous les frères par un saint baiser. Je vous en conjure par le Seigneur, que cette lettre soit lue à tous les frères. Que la grâce de notre Seigneur Jésus Christ soit avec vous ! »

Nous pouvons facilement imaginer l’impacte que de tels écrits ont pu faire à Athènes, dans l’esprit des Philosophes du IIe Siècle, forts des croyances liées à leurs origines, à leurs pensées qui sont celles d’hommes instruits, d’Initiés. Athénagore, faisait alors partie de l’École de Pensée d’Alexandrie, encore platonicienne, et sa religion demeurait être celle des polythéistes. En ce sens, ayant été instruit à l’ésotérisme du Culte des Dieux de l’Olympe, dont Rome n’avait latinisé que les noms des Divinités d’origine grecs, Athénagore en connaissait les Mystères. De même que les Prêtres Egyptiens ne reconnaissaient qu’un Dieu unique, au contraire du peuple, dont les autres Dieux n’étaient que des prolongations exotériques de ses différentes fonctions, Athénagore convenait de l’existence d’un Grant Tout, un Grand Architecte, dont les multiples représentations divines n’étaient qu’un moyen de justification, en divisant les croyances, les demandes et les pratiques. Ainsi, les Polythéismes Grec puis Romain, tout comme celui de l’Égypte Antique, n’étaient pas des polythéismes réels pour celui qui avait été initié aux Mystères. Chaque ville, chaque Cité, possédait bien évidemment des dizaines de Temples, dans lesquels des Prêtres servaient autant de divinités différentes. Cependant, ces mêmes Prêtres assuraient au seul Temple dont ils avaient la garde exclusive, un sacerdoce réservé et dédié à un seul Dieu et non à plusieurs. Pour simplifier ce propos, nous dirions que personne aujourd’hui, n’oserait prétendre qu’en France la religion est polythéiste, parce qu’une ville comme Nantes, Bordeaux ou Paris, regroupe en son Centre Historique, des Églises Catholiques, des Temples Protestants, des Mosqués et des Synagogues.

Athénagore était donc Polythéiste, mais suivait une théologie différente de celle que pratiquait le peuple en général. Il était polythéiste à la manière de ceux qui l’avaient Initié aux Mystères de la Religion, les Prêtres Égyptiens.  

Notons également, qu’Athénagore d’Athènes n’a certainement pas porté ce nom toute sa vie. Il est probable que ce soit à partir de sa conversion, qu’il choisit une appellation proche de Jean de Patmos, Paul de Tarse ou de Simon Barjonas qui deviendra Pierre. Athénagore modifia son nom, judicieusement et simplement pour ne pas nuire à sa famille, et poursuivre ses réflexions sans porter ombrage à ses connaissances, et notamment ses amis Philosophes. Nous pouvons nous permettre de supposer ce fait, à partir de deux constats. Le premier, est qu’il apparaît qu’Athénagore n’a pas écrit de Discours ni de propos avant sa conversion, ce qui est impensable et non conforme à sa position de Philosophe. Le second, nous savons qu’il était de l’École de Pensée d’Alexandrie. Or, cette Ecole est très bien référencée et suit des Chroniques et des Archives encore consultables : Aucune notification sur l’époque traitée, ne porte l’inscription Athénagore d’Athènes, c’est-à-dire que l’Histoire écrite sur cette institution n’a pas retenu son nom. Nous ne pouvons toutefois, apporter un éclairage nouveau sur ses origines réelles, sans spéculer. Nous ne le ferons donc pas.

Quoi qu’il en soit, Athénagore a une position élevée et est reconnu comme un homme sage à Athènes. C’est donc tout naturellement qu’il est appelé par l’Élite pensante de la Cité, en tant que Philosophe, à étudier une nouvelle doctrine religieuse qui pénètre l’Empire Romain et plus particulièrement Athènes : le Christiannisme. Ainsi mandaté par le gouvernement de l’illustre Cité, Athénagore va s’éduquer et s’ouvrir à cette nouvelle religion, mais dans un contexte et une approche qui ne sont pas ceux d’un croyant, mais ceux d’un lettré. En effet, soulignons une fois encore qu’Athénagore appartient à une pensée liée à un Culte polythéiste, comme les hommes de son temps, dans un Empire Romain qui a choisi cette forme de croyance pour Religion d’État. Apprécions le fait qu’Athénagore suit facilement cette forme de conviction par tradition, parce que ce fut également celle de ses ancêtres. Athénagore reste donc un adepte des Dieux de sa Cité et de l’Empire auquel il appartient.

Socialement, et principalement à Athènes, le Culte des Dieux multiples est en effet, autant une tradition, qu’un devoir moral envers l’Empire, devoir que personne n’oserait ouvertement contester. Athénagore est donc un homme qui s’intéresse à la foi Chrétienne, non pas pour y adhérer, mais bien pour la combattre. Et, c’est en étudiant les Épîtres de Paul, en usant de ses connaissances, en discutant sur le fond des écrits, en utilisant son expertise philosophique, et sans doute en réveillant son espérance, qu’Athénagore va douter, avant d’embrasser cette nouvelle religion.

La remise en cause de ses croyances, va lui permettre d’asseoir la pertinence dans ses propos, tout en gardant une certaine naïveté dans son argumentaire. Homme de son siècle, Athénagore va apporter dans ses discours, bien que ce ne soit pas son objectif, un éclairage multiple sur la vie des hommes au IIe Siécle, sous domination Romaine. Ces oeuvres, dont seuls deux propos nous sont parvenus, Supplique aux Chrétiens et le Traité sur la Résurrection des Morts, Traité dont il est objet dans cet ouvrage, mêlent avec intérêt, philosophie et théologie, deux principes qui se perdront un temps dans les analyses et les travaux apologétiques des Siècles suivants. Il est d’ailleurs intéressant de noter, qu’au contraire de Saint Paul et d’autres Apôtres ou Evangélistes de ce début de millénaire, Athénagore ne réduit pas le champ de son expertise à des propos purement théologiques, comme le fait Saint Paul, à la Première Épître Aux Corinthiens, chapitre 15 et versets 12 à 14 : « Or, si l’on prêche que Christ est ressuscité des morts, comment quelques-uns parmi vous peuvent-ils dire qu’il n’y a point de résurrection des morts ? S’il n’y a point de résurrection des morts, Christ non plus n’est pas ressuscité. Et si Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est donc vaine, et votre foi aussi est vaine. »

Bien au contraire, Athénagore apporte des réponses pratiques, calculées, logiques et pragmatiques, à la manière des Philosophes de son temps, qui analysent et réduisent point par point et par la rhétorique et l’usage de la raison, les critiques contraires que leurs adversaires peuvent leur opposer.

Mais quel est l’État de progression du Christiannisme au IIe Siècle après Jésus-Christ ? Athénagore écrit à une période de l’Histoire, où le Christianisme commence à s’implanter doucement au sein de l’Empire Romain depuis un siècle et demi. Les communautés Chrétiennes, bien que constituées en groupuscules, sont de plus en plus nombreuses, disséminées par petits groupes dans tout le bassin méditerranéen. Les cultes et les coutumes païennes restent cependant vivaces, malgré les avancées de cette nouvelle religion, qui n’offre pas forcément un renouveau des pratiques et des rites, mais amorce une approche différente dans leur justification. Le Christiannisme des origines, appuie ses dogmes sur une ouverture et sur une démarche qui proposent non seulement de transformer véritablement la vie des hommes, par la pensée et par l’action, mais également de transformer les statuts et la hiérarchie de la Cosmologie existante. Jouant de l’adaptation de certaines des croyances païennes, le Christiannisme des origines absorbe les traditions et les amalgame. Le polythéisme est ainsi délaissé, continuant inexorablement à être dévoré petit à petit. La nouvelle religion ne proposant pas en effet, un bouleversement fondamental dans les pratiques des cultes, elle est d’autant mieux acceptée par les masses. Cette adaptation des coutumes et traditions païennes au Christiannisme, n’est pas propre à Athènes ou aux grandes Cités Antiques. Elle n’est pas non plus liée à une époque restreinte. Certaines consécrations d’aujourd’hui, certains Pélerinages Chrétiens ou Catholiques, demeurent toujours être la résurgence de Cérémonies de célébrations païennes. Les Apôtres, puis plus tard l’Église elle-même, plutôt que de combattre des Rites ancestraux en les interdisant, ont préféré leur donner une justification différente tout en les maintenant. Les Pardons en sont un bon exemple. Celui de Sainte-Anne d’Auray, par exemple, n’est pas une Consécration créée par l’Église de Rome, mais bien la survivance d’un Rituel païen célébré par les Celtes, pour adorer non pas Sainte Anne la mère de Jésus-Christ, mais la Déesse Mère Ana, que les Grecs appelaient Gaïa.

Cette récupération, ne s’arrêtera pas aux traditions et aux Rites païens, mais se poursuivra sur le calque des Cosmologies anciennes en les adaptant. Là, où les polythéistes non Initiés, concevaient l’existence d’une pluralité de Dieux, l’Eglise les remplacera sans les effacer, en instituant autant de Saints et d’Anges qu’il y avait à l’origine, de Divinités. Ainsi, l’Archange Gabriel remplacera Hermés le Dieu messager, et l’Archange Michel victorieux du Diable déguisé en Dragon, remplacera Apollon, le pourfendeur du Serpent Python et le fondateur de Delphes, la Cité de la Pythie.

Le Culte polythéiste se voit ainsi diminué d’un nombre de plus en plus important de fidèles. L’armée romaine, dont les légionnaires sont issus de toutes les provinces qui forment l’Empire, joue à cette occasion, une part importante dans cette transformation. N’oublions pas l’image de Saint Paul, ancien militaire romain et oppresseur convaincu des Chrétiens avant d’avoir sa révélation de Jésus sur la route de Damas, suivant les Actes des Apôtres, au Chapitre 9, et aux versets 1 à 30 : « Cependant Saül [nom d’origine de Paul], respirant encore la menace et le meurtre contre les disciples du Seigneur, se rendit chez le souverain sacrificateur, et lui demanda des lettres pour les synagogues de Damas, afin que, s’il trouvait des partisans de la nouvelle doctrine [c’est-à-dire la doctrine Chrétienne], hommes ou femmes, il les amenât liés à Jérusalem. Comme il était en chemin, et qu’il approchait de Damas, tout à coup une lumière venant du ciel resplendit autour de lui. Il tomba par terre, et il entendit une voix qui lui disait : Saül, Saül, pourquoi me persécutes-tu ? Il répondit : Qui es-tu, Seigneur ? Et le Seigneur dit : Je suis Jésus que tu persécutes. Il te serait dur de regimber contre les aiguillons. Tremblant et saisi d’effroi, il dit : Seigneur, que veux-tu que je fasse ? Et le Seigneur lui dit : Lève-toi, entre dans la ville, et on te dira ce que tu dois faire. Les hommes qui l’accompagnaient demeurèrent stupéfaits ; ils entendaient bien la voix, mais ils ne voyaient personne. Saül se releva de terre, et, quoique ses yeux fussent ouverts, il ne voyait rien ; on le prit par la main, et on le conduisit à Damas. Il resta trois jours sans voir, et il ne mangea ni ne but. Or, il y avait à Damas un disciple nommé Ananias. Le Seigneur lui dit dans une vision : Ananias ! Il répondit : Me voici, Seigneur ! Et le Seigneur lui dit : Lève-toi, va dans la rue qu’on appelle la droite, et cherche, dans la maison de Judas, un nommé Saül de Tarse. Car il prie, et il a vu en vision un homme du nom d’Ananias, qui entrait, et qui lui imposait les mains, afin qu’il recouvrât la vue. Ananias répondit : Seigneur, j’ai appris de plusieurs personnes tous les maux que cet homme a faits à tes saints dans Jérusalem ; et il a ici des pouvoirs, de la part des principaux sacrificateurs, pour lier tous ceux qui invoquent ton nom. Mais le Seigneur lui dit : Va, car cet homme est un instrument que j’ai choisi, pour porter mon nom devant les nations, devant les rois, et devant les fils d’Israël ; et je lui montrerai tout ce qu’il doit souffrir pour mon nom. Ananias sortit ; et, lorsqu’il fut arrivé dans la maison, il imposa les mains à Saül, en disant : Saül, mon frère, le Seigneur Jésus, qui t’est apparu sur le chemin par lequel tu venais, m’a envoyé pour que tu recouvres la vue et que tu sois rempli du Saint-Esprit. Au même instant, il tomba de ses yeux comme des écailles, et il recouvra la vue. Il se leva, et fut baptisé ; et, après qu’il eut pris de la nourriture, les forces lui revinrent. Saül resta quelques jours avec les disciples qui étaient à Damas. Et aussitôt il prêcha dans les synagogues que Jésus est le Fils de Dieu. Tous ceux qui l’entendaient étaient dans l’étonnement, et disaient : N’est-ce pas celui qui persécutait à Jérusalem ceux qui invoquent ce nom, et n’est-il pas venu ici pour les emmener liés devant les principaux sacrificateurs ? Cependant Saül se fortifiait de plus en plus, et il confondait les Juifs qui habitaient Damas, démontrant que Jésus est le Christ. Au bout d’un certain temps, les Juifs se concertèrent pour le tuer, et leur complot parvint à la connaissance de Saül. On gardait les portes jour et nuit, afin de lui ôter la vie. Mais, pendant une nuit, les disciples le prirent, et le descendirent par la muraille, dans une corbeille. Lorsqu’il se rendit à Jérusalem, Saül tâcha de se joindre à eux ; mais tous le craignaient, ne croyant pas qu’il fût un disciple. Alors Barnabas, l’ayant pris avec lui, le conduisit vers les apôtres, et leur raconta comment sur le chemin Saül avait vu le Seigneur, qui lui avait parlé, et comment à Damas il avait prêché franchement au nom de Jésus. Il allait et venait avec eux dans Jérusalem, et s’exprimait en toute assurance au nom du Seigneur. Il parlait aussi et disputait avec les Hellénistes ; mais ceux-ci cherchaient à lui ôter la vie. Les frères, l’ayant su, l’emmenèrent à Césarée, et le firent partir pour Tarse. »

À la manière de Saül, c’est-à-dire Paul, nombre de légionnaires se convertissent à cette nouvelle religion, qui n’est pas sans leur rappeler celle qui recueille déjà la majorité des suffrages dans l’armée : la Religion ou Culte de Mythra.

L’armée romaine étant, à l’image des Gardes Prétoriennes, un organe de répression pratique, au service de l’Empereur, l’adhésion d’une partie des Légions aux doctrines Chrétiennes, et notamment une adhésion des gradés, apportait la possibilité à ce nouveau Culte de s’exprimer et d’être visible avec plus de facilité. Toutefois, rappelons que l’Empereur Trajan au début du Ier Siecle, avait interdit le Culte Chrétien. Mais, cette interdiction, un siècle plus tard, s’était modifiée en tolérance admise. Il faudra attendre les persécutions du IIIe et IVe Siècles, sous les Règnes des Empereurs Valérien et Dioclétien pour que cette tolérance disparaisse et que les martyrs fleurissent comme autant de symboles. Après ce passage difficile, la Religion Chrétienne finira par remplacer le Polythéisme, et devenir la Religion d’État en 313 après Jésus-Christ, c’est-à-dire dix ans seulement après les dernières persécutions. Alors que l’Empire Romain demeure principalement Polythéiste, Constantin et sa mère, qui deviendra Sainte Hélène, imposent la Religion du Christ.     

Athénagore, avant d’embrasser la Religion Chrétienne, demeurait un polythéiste convaincu, qui s’appuyait sur la Philosophie de Platon et les théories d’Aristote pour justifier ses croyances. Et ses croyances étaient ceux d’un Philosophe, comme le défini Aristote lui-même, au Livre I de Méthaphysique, au Chapitre 2 : « On entend d’abord par ce mot [Philosophe] l’homme qui sait tout, autant que cela est possible, sans savoir les détails. En second lieu, on appelle philosophe celui qui peut connaître les choses difficiles et peu accessibles à la connaissance humaine ; or les connaissances sensibles étant communes à tous et par conséquent faciles n’ont rien de philosophique. Ensuite on croit que plus un homme est exact et capable d’enseigner les causes, plus il est philosophe en toute science. En outre, la science qu’on étudie pour elle-même et dans le seul but de savoir, paraît plutôt la philosophie que celle qu’on apprend en vue de ses résultats. Enfin, de deux sciences, celle qui domine l’autre, est plutôt la philosophie que celle qui lui est subordonnée ; car le philosophe ne doit pas recevoir des lois, mais en donner ; et il ne doit pas obéir à un autre, mais c’est au moins sage à lui obéir. »

À l’époque d’Athénagore, la progression du Christianisme bien que réelle, rencontre bien évidemment des difficultés dans toute la Méditerranée, mais plus spécifiquement dans les grands centres intellectuels urbains, comme Rome et Athènes. Dans cette Cité, les confrères Philosophes d’Athénagore, défendaient farouchement la Religion d’État. Un culte national, est en effet le garant de la stabilité pour l’Empire Romain, et cette stabilité peut paraître menacée par un nouveau courant de pensée religieux. À cette crainte, s’ajoute une donnée qui fait naître des résistances réfractaires à tout changement. Car la religion polythéiste est une institution certes religieuse, mais également politique et financière. Le Polythéisme fait vivre bon nombre de Prêtres et de fidèles qui servent les Dieux. Ceux-ci, voyaient en la perte de croyants, une perte sérieuse en dons et sacrifices, c’est-à-dire un manque à gagner purement financier.

La naissance de ce courant d’opposition, nous amène à supposer, que le nombre de convertis au Christiannisme était suffisamment élevé à Athènes, pour inquiéter sérieusement les castes religieuses de la Religion d’État et justifier cette levée de boucliers. Athénagore fut donc appelé à enquêter sur le culte du Christ, comme bon nombre d’hommes savants avec lui, pour deux raisons différentes. La donnée financière en est sans doute la principale, mais la deuxième reste la plus intéressante et porte sur la vision qu’avait du Christiannisme, les Philosophes du IIe Siècle après Jésus-Christ. Cette vision, souvent incomplète ou erronée, imposait à la nouvelle religion, la nécessité d’être comprise et interrogée à la manière des Philosophes, c’est-à-dire comme on le ferait d’un système et non comme on le ferait d’une foi nouvelle. Le Christiannisme était-il une secte, une école de pensée, ou bien comme l’entendaient ses défenseurs, une Vérité révélée par Dieu lui-même ?

Les Chrétiens subissaient trois types d’attaques, d’accusations et de calomnies, comme le précisera Athénagore d’Athènes lui-même, au Chapitre 3 de son Supplique aux Chrétiens, écrit après sa conversion au Christiannisme : « On nous accuse de trois crimes : d’être des athées, de nous nourrir de chair humaine comme Thyeste, d’être incestueux comme Œdipe. Si ces crimes sont prouvés, n’épargnez ni l’âge ni le sexe ; punissez-nous par tous les genres de supplices ; exterminez-nous sans pitié, nous, nos femmes et nos enfants, si quelqu’un de nous vit à la manière des brutes. Et certes l’animal lui-même ne s’approche point d’un animal de son sexe ; il s’unit selon les lois de la nature pour le seul temps nécessaire à la génération, et non pour se livrer sans frein à ses penchants ; il reconnaît aussi ceux qui lui ont fait du bien. Quel supplice mériterait l’homme qui descendrait au-dessous de la brute ; quel châtiment pourrait égaler son crime ? Mais si on ne trouve là que des accusations et des calomnies dénuées de tout fondement, suite naturelle de l’acharnement du vice contre la vertu, puisque par un décret divin, une guerre éternelle est allumée entre les êtres d’une nature contraire ; si vous-mêmes vous êtes les témoins de notre innocence, vous qui défendez de nous accuser à cause de notre nom, il est de votre devoir de vous assurer de nos mœurs, de notre doctrine, de notre obéissance, de nos sentiments pour vous, votre famille et votre empire, et de tenir la balance égale entre nos accusateurs et nous : nul doute que la victoire ne reste à ceux qui sont toujours prêts à donner leur vie pour soutenir la vérité. »

Ces trois accusations ont toutefois, une base sur laquelle elles s’appuient.

  1. La première accusation portait sur l’Athéisme : En effet, les Chrétiens ne suivaient aucuns des Dieux reconnus par l’Empire, dont pourtant la liste était importante et paradoxalement, s’ouvrait sur une grande tolérance, comme nous le précise Athénagore au Chapitre 1 du même ouvrage : « Votre empire, grands princes [Athénagore adresse son Traité aux Empereurs Aurèle-Antonin et Aurèle Commode], n’est point soumis partout aux mêmes lois et aux mêmes usages ; et chacun peut suivre les institutions de son pays, aussi ridicules qu’elles soient, sans avoir à craindre ni juges, ni lois. Ilion est fait dieu d’Hector, et adore Hélène sous le nom d’Adrastie : Sparte honore Agamemnon comme Jupiter, et Philonoé fille de Tyndare ; Ténédos invoque Ténen. Les Athéniens offrent des sacrifices à Neptune Érechthée, et célèbrent en même temps des cérémonies et des mystères en l’honneur d’Agraule et de Pandrose, bien qu’on les regardât comme des impies pour avoir ouvert le coffre qui renfermait le dépôt confié à leur garde. En un mot, tous les peuples et toutes les nations offrent les sacrifices et célèbrent les mystères qui leur plaisent. Les Égyptiens regardent comme des dieux les chats, les crocodiles, les serpents, les aspics et les chiens. Vous et vos lois vous dites à tous qu’on est impie et criminel de ne reconnaître aucun dieu, et qu’il est nécessaire que chacun adore celui qu’il voudra, que la crainte de la Divinité détourne du mal. Pourquoi notre nom, qu’il ne vous blesse pas, ainsi qu’il irrite la multitude indignée de l’entendre seulement prononcer ; pourquoi, dis-je, notre nom est-il en horreur ? Ce n’est pas le nom, c’est le crime seul qui est digne de haine et de supplice. Tous admirent votre douceur, votre mansuétude, votre clémence et votre humanité, qui permettent à chacun de vivre selon ses lois : vous traitez toutes les cités avec les égards et la distinction qu’elles méritent ; et le monde entier, grâce à votre sagesse, jouit d’une paix profonde. Pour nous autres qu’on appelle Chrétiens, nous sommes les seuls exclus de votre bienveillance : que dis-je, vous souffrez que des hommes innocents, pénétrés, comme nous le prouverons, des sentiments les plus religieux et pour Dieu et pour les empereurs, soient opprimés, dépouillés, persécutés, et uniquement à cause de leur nom ! » Les Chrétiens ne reconnaissent pas d’autre Dieu que celui du Nouveau Testament. Ajoutons que ce Dieu, n’a non seulement pas de nom, mais ne peut être représenté, puisque l’idolâtrie est interdite aux Chrétiens.
  2. La deuxième accusation portait sur les repas de chair humaine : Les Chrétiens refusant la violence, le repas de chair ne pouvait être qu’une accusation fausse : Les Chrétiens ne sacrifient pas à Dieu, et sous entendre un repas de chair humaine, sous-entendrait le sacrifice et la mort de celui qui est dévoré. Mais, toutefois et encore, cette accusation tient compte du rituel de l’Action de Grâce ou Eucharistie, dont la symbolique n’a pas été comprise et étudiée par les détracteurs, et dont le Chapitre IX de La Didachè, texte Grec de la fin du Ier Siècle après Jésus-Christ, nous en donne le rituel : « Quant à l’eucharistie, faites ainsi vos Actions de grâce. D’abord pour la coupe : « Nous Te rendons grâce, notre Père, pour la sainte vigne de David Ton serviteur que Tu nous a fait connaître par Jésus Ton Enfant. À Toi la gloire pour les siècles. » Pour la fraction du pain : « Nous Te rendons grâces, notre Père, pour la vie et la connaissance que Tu nous a révélées par Jésus Ton Enfant. À Toi la gloire pour les siècles. De même que ce pain rompu était dispersé sur les collines et que, rassemblé, il est devenu un, qu’ainsi soit rassemblée ton Eglise des extrémités de la terre dans Ton Royaume. Car à Toi sont la gloire et la puissance par Jésus-Christ pour les siècles. » Que personne ne mange ni ne boive de votre eucharistie sinon ceux qui ont été baptisés au nom du Seigneur ; car c’est à ce sujet que le Seigneur a dit : « Ne donnez pas ce qui est saint aux chiens. »
  3. La troisième calomnie est de pratiquer l’Inceste : Les premiers Chrétiens, à l’exemple des Juifs, ne se mariaient qu’entre eux, et ceci, pour des raisons très éloignées des Israëlites. Les Chrétiens n’ont pas l’outrecuidance de se considérer comme un peuple élu. Ils respectent trop Dieu pour cela. Mais, leur religion étant mal perçue, c’était entre communautés chrétiennes que les unions par mariage, étaient consacrées. Les Chrétiens s’unissant entre Chrétiens, il était facile de les accuser de relations incestueuses qui de plus, sous-entendait à l’époque l’homoxesualité. L’union d’un homme et d’une femme, étant un sacre devant Dieu dans l’unique objectif de la procréation, l’idée et la pratique de l’inceste ne pouvaient être concevable pour les vrais Chrétiens, car cette idée même, découvrait une finalité de plaisir des chairs qui n’est qu’une pensée impure, que Dieu ne permet pas. Athénagore l’explique au Chapitre 32, de sa Supplique aux Chrétiens : « Il ne faut pas s’étonner si nos ennemis nous imputent les crimes qu’ils attribuent à leurs dieux, dont ils célèbrent les passions sous le nom de mystères. Mais du moins, puisqu’ils réprouvent si fort en nous les unions incestueuses formées dans l’ombre et au hasard, ils auraient dû montrer d’abord leur aversion pour Jupiter, qui eut des enfants de Rhéa, sa mère, et de sa fille Proserpine, et qui épousa sa propre sœur ; ou condamner Orphée, l’inventeur de ces turpitudes, cet Orphée qui nous a représenté Jupiter plus infâme que Thyeste lui-même. Car ce dernier, en souillant sa propre fille, ne fit qu’obéir à un oracle qui lui assurait que c’était le seul moyen de se venger et de conserver son royaume. Pour nous, nous sommes si éloignés de semblables crimes, qu’il ne nous est pas même permis de regarder une femme avec un mauvais désir : « Celui qui regarde une femme avec la pensée du mal, dit notre maître, a déjà commis l’adultère dans son cœur. » Comment seraient-ils des impudiques, ceux qui ne se servent de leurs yeux que pour éclairer le corps, selon l’intention du créateur ; ceux, dis-je, qui se croient comptables devant Dieu non seulement de leurs actions, mais encore de leurs pensées, et pour qui un regard trop complaisant est un adultère, parce que les yeux ont été faits pour un autre usage ? Car il n’en est pas de la loi que nous observons comme des lois humaines auxquelles le méchant peut quelquefois se soustraire : ainsi que je vous le démontrais naguère, grands princes, c’est notre Dieu qui nous l’a donnée, et cette divine loi règle tous nos devoirs envers nous-mêmes et envers le prochain. Selon la différence de l’âge, nous regardons les un comme nos enfants, les autres comme nos frères et nos sœurs, et nous honorons les vieillards comme nos pères et nos mères ; aussi avons-nous grand soin de conserver l’innocence de ceux que nous regardons comme nos parents, et a qui nous donnons ces doux noms de famille ; l’Écriture, parlant du baiser dont le plaisir serait le motif, ajoute : « Il faut donner avec la plus grande précaution le baiser ou plutôt la salutation, parce qu’elle nous exclut de la vie éternelle, pour peu qu’elle souille la pensée. »

    Nous voyons au travers des écrits et des arguments d’Athénagore, ô combien après sa conversion, il a défendu, convaincu qu’il était, la Religion qu’il avait embrassée. Devant cette évidence, il semble nécessaire de discuter sur les thèses qui modifièrent si profondément les certitudes d’Athénagore. Pour qu’il se convertisse avec tant de ferveur au Christiannisme, la force des idées devait être des plus percutante. Quelles peuvent être en effet, les démonstrations qui emportèrent son adhésion, basculant son raisonnement, le faisant passé de Philosophe pourfendeur de la foi chrétienne, à celui de défenseur de cette nouvelle religion ?  Ces thèses auxquelles il adhère sans retenue sont :

  1. La Croyance en l’existence d’un Dieu Unique ;
  2. La Croyance en l’existence d’un Jugement après la mort ;
  3. La Croyance en l’existence d’une âme immortelle ;
  4. La Croyance en l’existence d’une Résurrection.

    La première donnée, que nous appellerons Premier Principe, est la croyance justifiée, c’est-à-dire rationnelle en l’existence de Dieu. Athénagore est un Philosophe qui connaît les Études des Philosophes Antiques et notamment celles d’Aristote. Il en partage une croyance, celle de croire en un Dieu unique. C’est en effet, dans son premier ouvrage Métaphysique, au Chapitre 3, qu’Aristote développe les Principes qui définissent l’existence de la Première Cause, l’Être suprême : « Un point qui est évident, c’est que, pour acquérir la science, il faut remonter jusqu’à la connaissance des causes premières ; car, quel que soit l’objet dont il s’agisse, on ne peut dire de quelqu’un qu’il sait une chose que quand on croit qu’il en connaît la cause initiale. Le mot de Cause peut avoir quatre sens différents. D’abord il y a un sens où Cause signifie l’essence de la chose, ce qui fait qu’elle est ce qu’elle est. Le pourquoi primitif d’une chose se réduit en définitive à sa définition propre, et ce pourquoi primitif est une cause et un principe des choses. Une seconde cause des choses, c’est leur matière, leur sujet matériel. La troisième cause, c’est celle qui est l’origine du mouvement de la chose. Enfin la quatrième, qui est placée à l’opposé de celle-là, c’est le but final pour lequel la chose est faite ; c’est le bien de la chose, attendu que le bien est la fin dernière de tout ce qui se produit et se développe en ce monde. Quoique nous ayons suffisamment expliqué ces quatre causes dans la Physique, nous repasserons cependant en revue les opinions de ceux qui nous ont précédés dans l’élude des êtres et qui ont cherché la vérité en philosophes ; car il est certain qu’eux aussi admettaient des principes et des causes. Cet examen pourra être un préambule utile pour les études que nous faisons ici. Ou cet examen nous fera découvrir un nouvel ordre de cause, ou il nous confirmera d’autant plus complètement dans le système des quatre causes que nous venons d’indiquer. C’est uniquement dans l’ordre de la matière que les premiers philosophes, ou du moins la plupart d’entre eux, ont cru découvrir les principes de tous les êtres. En effet, ce qui constitue tous les êtres sans exception, ce qui est la source primordiale d’où ils sortent, ce qui est le terme où ils finissent par rentrer, quand ils sont détruits, substance qui au fond est persistante et qui ne fait que subir des modifications, ce fut là, aux yeux de ces philosophes, l’élément des choses et leur principe ; ils en conclurent que d’une manière absolue rien ne naît et que rien ne périt, puisque cette nature, telle qu’ils la comprenaient, se conserves et subsiste perpétuellement. De même qu’on ne peut pas dire de Socrate, d’une manière absolue, qu’il est produit et qu’il naît, par cela seul qu’il devient beau ou qu’il devient savant, et que l’on ne dit pas non plus qu’il périt absolument quand il ne perd qu’une de ces manières d’être, par cette excellente raison que le sujet qui est Socrate lui-même n’en subsiste pas moins ; de même, selon ces premiers philosophes, aucun des autres êtres ne se produit ni ne périt absolument. Car il faut que ce soit ou une nature unique ou des natures multiples, d’où tout le reste puisse sortir, puisque cette nature demeure et persiste toujours. Cependant, quand il s’agît de déterminer le nombre de ces principes ou la nature spéciale de ce principe unique, les opinions ne sont plus unanimes. Par exemple, Thalès, auteur et chef de ce système de philosophie, prétendit que l’eau est le principe de tout, et c’est là ce qui lui fît affirmer aussi que la terre repose et flotte sur l’eau. Probablement, il tira son hypothèse de ce fait d’observation que la nourriture de tous les êtres est toujours humide, que la chaleur même vient de l’humidité, et que c’est l’humidité qui fait vivre tout ce qui vit. C’est ainsi que l’élément d’où proviennent quelques-unes des choses parut à Thalès devint le principe de toutes choses sans exception. À ce premier motif, qui déjà lui suffisait, il ajouta cette autre observation, que les germes de tous les êtres sont de nature humide, et que l’eau est le principe naturel de tous les corps humides. C’est là, du reste, l’opinion que l’on prête aussi quelquefois aux plus anciens philosophes, qui ont de beaucoup précédé notre âge, et aux premières Théologies, qui, dit-on, ont compris la nature comme la comprenait Thalès. Pour eux, en effet, l’Océan et Téthys passaient pour les auteurs de toute génération ; les dieux ne juraient que par l’eau que les poètes nommaient le Styx ; or, ce qu’il y a de plus ancien est aussi ce qui est le plus sacré, et rien n’est plus sacré que la chose par laquelle on jure. Du reste, que cette antique et vieille idée de la nature ait été réellement professée, c’est ce qu’on ne sait pas très clairement. Mais le système qu’on vient d’attribuer à Thalès sur la cause première a certainement été le sien. Hippon est digne à peine d’être compté parmi ces philosophes, attendu que ses doctrines sont par trop arbitraires. Anaximène et Diogène ont cru l’air antérieur à l’eau, et ils l’ont regardé comme le principe essentiel des corps simples. Pour Hippase de Métaponte et Heraclite d’Éphèse, ce principe était le feu. Empédocle reconnut les quatre éléments, en ajoutant aux trois précédents la terre, qui forma le quatrième. Il supposait que ces éléments sont éternels, et que jamais ils ne se manifestent qu’en se réunissant et en se désunissant, en plus ou moins grande quantité, selon qu’ils se combinent dans l’unité, ou qu’ils sortent de l’unité formée par eux. Anaxagore de Clazomène, qui était plus ancien qu’Empédocle, mais qui en réalité ne s’est montré qu’après lui, a prétendu que les principes sont infinis. Dans son opinion, les corps à parties similaires (homœoméries), tels que sont l’eau et le feu, ne naissent et ne périssent guère qu’en tant qu’ils se combinent et se divisent ; mais, sous tout autre rapport, ces corps ne sont exposés ni à naître ni à périr, attendu qu’ils sont éternels, dans le système d’Anaxagore. D’après toutes ces théories, on aurait donc pu supposer qu’il n’y a qu’une seule cause, celle qui, dans la nature, se présente à nous sous forme de matière. Mais à mesure qu’on avança dans cette voie, la réalité elle-même traça la route aux philosophes, et leur imposa la nécessité d’une recherche plus profonde. En effet, si toute destruction et toute production ne peuvent s’appliquer jamais qu’à un sujet, que ce sujet soit d’ailleurs unique ou multiple, comment ce phénomène de changement a-t-il eu lieu, et quelle en est la cause ? Évidemment, ce n’est pas le sujet lui-même où se passe le changement qui peut s’imposer les changements qu’il subit ; je veux dire, par exemple, que ce n’est ni le bois, ni l’airain, qui sont cause des changements que chacun d’eux éprouve. Ce n’est pas le bois apparemment qui fait le lit ; ce n’est pas l’airain qui fait la statue ; mais la cause du changement éprouvé est étrangère à l’objet qui l’éprouve. Or, chercher cette cause, c’est chercher un principe tout autre ; et ce principe-là, comme nous proposerions de l’appeler, c’est le principe d’où part le mouvement. Mais ceux qui tout à fait les premiers ont mis la main à cette étude, et qui ont déclaré que le sujet des phénomènes est absolument un, n’ont pas vu en cela la moindre difficulté. Néanmoins, quelques-uns de ceux qui soutenaient ce système de l’unité, vaincu en quelque sorte par la grandeur de cette recherche, affirmèrent que l’unité est absolument immobile, et que la nature tout entière est immobile aussi, non pas seulement parce qu’elle ne subit pas les alternatives de production et de destruction, doctrine fort ancienne et unanimement adoptée, mais en outre parce qu’elle est soustraite à toute autre espèce de changement. Cette négation du mouvement est une doctrine qui appartient en propre à ces philosophes. Ainsi, parmi tous ceux qui soutiennent l’unité des choses et du Tout, il n’en est pas un qui ait reconnu la cause qui produit le mouvement, si ce n’est peut-être Parménide ; et encore lui-même ne l’a-t-il discernée que dans cette mesure où l’on peut dire de lui qu’il n’admet pas seulement l’unité de cause, mais que bien plutôt il admet en quelque sorte deux causes. Quant aux philosophes qui croient à plusieurs principes et qui admettent par exemple le froid et le chaud, ou le feu et la terre, ceux-là peuvent admettre plus aisément le principe du mouvement ; car, selon leurs idées, le feu est animé d’une nature essentiellement mobile, tandis qu’ils attribuent à l’eau, à la terre et aux corps analogues, une action précisément tout opposée. Mais, après tous ces philosophes, et après tous ces principes qui étaient impuissants à expliquer la production et la nature des êtres, les sages ont été contraints, comme je le disais, par la vérité elle-même, à chercher le principe qui était la conséquence inévitable de celui qu’ils admettaient ; car ce qui fait que certaines choses sont bonnes et belles et que d’autres le deviennent, ce ne peut être vraisemblablement ni la terre ni aucun élément de cet ordre, qui en soit la cause. D’ailleurs, il n’est pas non plus vraisemblable que ces philosophes aient conçu une si grossière idée ; et, en effet, il serait par trop déraisonnable de s’en remettre pour une chose aussi importante que celle-là à l’action d’une cause fortuite et à l’action du hasard. Aussi, quand un homme vint proclamer que c’est une Intelligence qui, dans la nature aussi bien que dans les êtres animés, est la cause de l’ordre et de la régularité qui éclatent partout dans le monde, ce personnage fît l’effet d’avoir seul sa raison, et d’être en quelque sorte à jeun après les ivresses extravagantes de ses devanciers. Nous pouvons croire avec certitude que c’est Anaxagore qui a soutenu des opinions aussi sages ; mais avant lui, Hermotime de Glazomène avait déjà signalé cette cause. Ce sont donc les philosophes, partisans de ce système, qui, en même temps, ont établi que la cause qui fait que tout est bien dans le monde est aussi la cause d’où part le mouvement, dont est animé tout ce qui existe. »

    Bien que les pensées de Saint Thomas, soient de plus 1000 ans postérieures à celles d’Athénagore, nous y retrouvons la trace de ce en quoi croyait Athénagore, qu’en a l’existence d’un Dieu unique. Tirés des développements qu’apporte Aristote dans Métaphysique, Saint Thomas en reprend l’intégralité des Principes dans son ouvrage Sommes Théologiques, au Livre I et au Chapitre 3 : « Il faut répondre qu’on peut démontrer l’existence de Dieu de cinq manières. La première preuve et la plus évidente est celle qu’on tire du mouvement. Car il est certain, et les sens le constatent, que dans ce monde il y a des choses qui sont mues. Or, tout ce qui est mû reçoit d’un autre le mouvement. Car aucun être n’est mû qu’autant qu’il est en puissance par rapport à l’objet vers lequel il est mû. Au contraire, une chose n’en meut une autre qu’autant qu’elle est en acte. Car mouvoir n’est pas autre chose que de faire passer un être de la puissance à l’acte. Or, un être ne peut passer de la puissance à l’acte que par le moyen d’un être qui est en acte lui-même. C’est ainsi que ce qui est chaud en acte comme le feu, rend le bois, qui est chaud en puissance, chaud en acte, et par là même il le meut et le consume. Mais il n’est pas possible que le même être soit tout à la fois et sous le même rapport en acte et en puissance ; il ne peut l’être que sous des rapports différents. Car ce qui est chaud en acte ne peut pas être en même temps chaud en puissance ; mais il est simultanément froid en puissance. Il est donc impossible que le même être meuve et soit mû sous le même rapport et de la même manière ou qu’il se meuve lui-même. Par conséquent, il faut que tout ce qui est mû le soit par un autre. Si donc celui qui donne le mouvement est mû lui-même, il faut qu’il l’ait été par un autre, et ainsi indéfiniment, ce qui répugne parce qu’il n’y aurait pas de premier moteur, et par conséquent il n’y en aurait pas d’autre non plus. Car les seconds moteurs ne meuvent qu’autant qu’ils ont été mus eux-mêmes par un premier moteur. Ainsi, un bâton ne meut qu’autant qu’il est mû lui-même par la main de celui qui s’en sert. Il est donc nécessaire de remonter à un premier moteur qui n’est mû par aucun autre, et c’est ce premier moteur que tout le monde reconnaît pour Dieu. La seconde preuve se déduit de la nature de la cause efficiente. En effet, dans les choses sensibles nous trouvons un certain enchaînement de causes efficientes. On ne trouve cependant pas et il n’est pas possible qu’une chose soit cause efficiente d’elle-même, parce qu’alors elle serait antérieure à elle-même, ce qui répugne. Il n’est pas possible non plus que pour les causes efficientes on remanie de cause en cause indéfiniment. Car, d’après la manière dont toutes les causes efficientes sont coordonnées, on trouve que la première est cause de celle qui tient le milieu, et celle qui tient le milieu est cause de la dernière, soit que les causes intermédiaires soient nombreuses ou qu’il n’y en ait qu’une. Comme en enlevant la cause on enlève aussi l’effet, il s’ensuit que, si dans les causes efficientes on n’admet pas une cause première, il n’y aura ni cause dernière ni cause moyenne. Or, si pour les causes efficientes on remontait de cause en cause indéfiniment, il n’y aurait pas de cause efficiente première, et par conséquent il n’y aurait ni dernier effet, ni causes efficientes intermédiaires, ce qui est évidemment faux. Donc il est nécessaire d’admettre une cause efficiente première, et c’est cette cause que tout le monde appelle Dieu. La troisième preuve est tirée du possible et du nécessaire, et on l’expose ainsi. Dans la nature nous trouvons des choses qui peuvent être et ne pas être, puisqu’il y en a qui naissent et qui meurent, et qui peuvent, par conséquent, être et ne pas être. Or, il est impossible que de tels êtres existent toujours, parce que ce qui peut ne pas exister n’existe pas en certains temps. Donc, si tous les êtres ont pu ne pas exister, il y a eu un temps où rien n’existait. S’il en était ainsi, rien n’existerait encore maintenant, parce que ce qui n’existe pas ne peut recevoir la vie que par ce qui existe. Si donc aucun être n’eût existé, il eût été impossible que quelque chose commençât à exister, et par conséquent rien n’existerait, ce qui est évidemment faux. Donc tous les êtres ne sont pas des possibles, mais il faut qu’il y ait dans la nature un être nécessaire. Or, tout être nécessaire emprunte à une autre cause sa nécessité d’être, ou il la tient de lui-même. On ne peut dire qu’il l’emprunte à une autre cause, parce que pour les causes nécessaires on ne peut pas plus que pour les causes efficientes aller indéfiniment de cause en cause, comme nous venons de le démontrer. Donc il faut admettre un être qui soit nécessaire par lui-même, qui ne tire pas d’ailleurs la cause de sa nécessité, mais qui donne au contraire aux autres êtres tout ce qu’ils ont de nécessaire, et c’est cet être que tout le monde appelle Dieu. La quatrième preuve est prise des divers degrés qu’on remarque dans les êtres. En effet, on remarque dans la nature quelque chose de plus ou moins bon, de plus ou moins vrai, de plus ou moins noble, et il en est ainsi de tout le reste. Or, le plus et le moins se disent d’objets différents, suivant qu’ils approchent à des degrés divers de ce qu’il y a de plus élevé. Ainsi, un objet est plus chaud à mesure qu’il s’approche davantage de la chaleur portée au degré le plus extrême. Il y a donc quelque chose qui est le vrai, le bon, le noble, et par conséquent l’être par excellence : car le vrai absolu est l’être absolu, comme le dit Aristote. Or, ce qu’il y a de plus élevé dans un genre est cause de tout ce que ce genre renferme. Ainsi, puisque le feu, qui est-ce qu’il y a de plus chaud, est cause de tout ce qui est chaud, comme le dit le même philosophe, il y a donc quelque chose qui est cause de ce qu’il y a d’être, de bonté et de perfection dans tous les êtres, et c’est cette cause que nous appelons Dieu. La cinquième preuve est empruntée au gouvernement du monde. En effet, nous voyons que les êtres dépourvus d’intelligence, comme les êtres matériels, agissent d’une manière conforme à leur fin : car on les voit toujours, ou du moins le plus souvent, agir de la même manière pour arriver à ce qu’il y a de mieux. D’où il est manifeste que ce n’est point par hasard, mais d’après une intention qu’ils parviennent ainsi à leur fin. Or, les êtres dépourvus de connaissances ne tendent à une fin qu’autant qu’ils sont dirigés par un être intelligent qui la connaît : comme la flèche est dirigée par le chasseur. Donc il y a un être intelligent qui conduit toutes les choses naturelles à leur fin, et c’est cet être qu’on appelle Dieu. Il faut répondre au premier argument, que, comme le dit saint Augustin, Dieu étant souverainement bon, il ne permettrait jamais qu’il y eût quelque chose de mauvais dans ses œuvres, s’il n’avait assez de puissance et de bonté pour tirer le bien du mal même. Il appartient donc à sa bonté infinie de permettre que le mal existe et d’en tirer du bien. Il faut répondre au second, que la nature agissant pour une fin déterminée sous la direction d’un agent supérieur, il est nécessaire qu’on rapporte à Dieu comme à leur cause première toutes les choses que la nature opère. De même tout ce que nous faisons d’après nos pensées doit être rapporté à une cause plus élevée que la raison et la volonté humaine. Car la raison et la volonté humaine sont choses changeantes et faillibles, et tout ce qui est faillible et changeant doit être ramené à un premier principe immobile et nécessaire par lui-même, comme nous l’avons vu. »

    Comme nous l’avons précisé, Saint Thomas ne dit rien de bien différent qu’Aristote. Saint Thomas, s’inspire en effet largement de lui et de ses ouvrages Physique et Métaphysique, pour définir les Cinq Voies de l’Existence de Dieu. Nous reprenons ici son Livre II, et les Chapitres 2 et 3 : « Il est évident qu’il y a un premier principe, et qu’il n’existe ni une série infinie de causes, ni une infinité d’espèces de causes. Ainsi, sous le point de vue de la matière, il est impossible qu’il y ait production à l’infini ; que la chair, par exemple, vienne de la terre, la terre de l’air, l’air du feu, sans que cela s’arrête. De même pour le principe du mouvement : on ne dira pas que l’homme a été mis en mouvement par l’air, l’air par le soleil, le soleil par la discorde, et ainsi à l’infini. De même encore, on ne peut, pour la cause finale, aller à l’infini et dire que la marche est en vue de la santé, la santé en vue du bonheur, le bonheur en vue d’autre chose, et que toute chose est toujours ainsi en vue d’une autre. De même enfin pour la cause essentielle. Toute chose intermédiaire est précédée et suivie d’autre chose, et ce qui précède est nécessairement cause de ce qui suit. Si l’on nous demandait de trois choses laquelle est cause, nous dirions que c’est la première. Car ce n’est point la dernière : ce qui est à la fin n’est cause de rien. Ce n’est point non plus l’intermédiaire : elle n’est cause que d’une seule chose. Peu importe ensuite que ce qui est intermédiaire soit un ou plusieurs, infini ou fini. Car toutes les parties de cette infinité de causes, et, en général, toutes les parties de l’infini, si vous partez du fait actuel pour remonter de cause en cause, ne sont également que des intermédiaires. De sorte que si rien n’est premier, il n’y a absolument pas de cause. Mais s’il faut, en remontant, arriver à un principe, on ne peut pas non plus, en descendant, aller à l’infini, et dire, par exemple, que le feu produit l’eau, l’eau la terre, et que la chaîne de la production des êtres se continue ainsi sans cesse et sans fin. En effet, ceci succède à cela, signifie deux choses ; ou bien une succession simple : Après les jeux Isthmiques, les jeux olympiens ; ou bien un rapport d’un autre genre : L’homme, par l’effet d’un changement, vient de l’enfant, l’air de l’eau. Et voici dans quel sens nous entendons que l’homme vient de l’enfant ; c’est dans le sens où nous disons que ce qui est devenu a été produit par ce qui devenait, ou bien que ce qui est parfait a été produit par l’être qui se perfectionnait ; car, de même qu’entre l’être et le non-être il y a toujours le devenir, de même aussi entre ce qui n’était pas et ce qui est, il y a ce qui devient. Ainsi, celui qui étudie devient savant, et c’est ce qu’on entend en disant que d’apprenant qu’on était on devient instruit. Quant à cet autre exemple : L’air vient de l’eau ; là, il y a l’un des deux éléments qui périt dans la production de l’autre. Aussi, dans le premier cas n’y a-t-il point de retour de ce qui est produit à ce qui a produit : d’homme on ne devient pas enfant ; car ce qui est produit ne l’est pas par la production même, mais vient après la production. De même pour la succession simple : le jour vient de l’aurore, uniquement parce qu’il lui succède ; mais par cela même l’aurore ne vient pas du jour. Dans l’autre espèce de production, au contraire, il y a retour de l’un des éléments à l’autre. Mais dans les deux cas, il est impossible d’aller à l’infini. Dans le premier, il faut que les intermédiaires aient une fin ; dans le dernier il y a retour perpétuel d’un élément à l’autre, car la destruction de l’un est la production de l’autre. Et puis, il est impossible que l’élément premier, s’il est éternel, périsse comme il le faudrait alors. Car, puisque, en remontant de cause en cause, la chaîne de la production n’est pas infinie, il faut nécessairement que l’élément premier qui, en périssant, a produit quelque chose, ne soit pas éternel. Or, cela est impossible. Ce n’est pas tout : la cause finale est une fin. Par cause finale on entend ce qui ne se fait pas en vue d’autre chose, mais au contraire ce en vue de quoi autre chose se fait. De sorte que s’il y a ainsi quelque chose qui soit le dernier terme, il n’y aura pas de production infinie : s’il n’y a rien de tel, il n’y a point de cause finale. Ceux qui admettent ainsi la production à l’infini, ne voient pas qu’ils suppriment par là même le bien. Or, n’est-il personne qui voulût ne rien entreprendre, s’il ne devait pas arriver à un terme ? Ce serait l’acte d’un insensé. L’homme raisonnable agit toujours en vue de quelque chose ; et c’est-là une fin, car le but qu’on se propose est une fin. On ne peut pas non plus ramener indéfiniment l’essence à une autre essence. Il faut s’arrêter. Toujours l’essence qui précède est plus essence que celle qui suit ; mais si ce qui précède ne l’est pas encore, à plus forte raison ce qui suit. Bien plus, un pareil système rend impossible toute connaissance. On ne peut savoir, il est impossible de ne rien connaître, avant d’arriver à ce qui est simple, indivisible. Or, comment penser à cette infinité d’êtres dont on nous parle ? Il n’en est pas ici comme de la ligne, qui ne s’arrête pas dans ses divisions : la pensée a besoin de points d’arrêt. Aussi, si vous parcourez cette ligne qui se divise à l’infini, vous n’en pouvez compter toutes les divisions. Ajoutons que nous ne concevons la matière que dans un objet en mouvement. Or, aucun de ces objets n’est marqué du caractère de l’infini. Si ces objets sont réellement infinis, le caractère propre de l’infini n’est pas l’infini. Et quand bien même on dirait seulement qu’il y a un nombre infini d’espèces de causes, la connaissance serait encore impossible. Car nous croyons savoir quand nous connaissons les causes ; et il n’est point possible que dans un temps fini, nous puissions parcourir une série infinie. Les auditeurs sont soumis à l’influence de l’habitude. Nous aimons qu’on se serve d’un langage conforme à celui qui nous est familier. Sans cela, les choses ne paraissent plus ce qu’elles nous paraissaient ; il nous semble, par ce qu’elles ont d’inaccoutumé, que nous les connaissons moins, et qu’elles nous sont plus étrangères. Ce qui nous est habituel nous est en effet mieux connu. Une chose qui montre bien quelle est la force de l’habitude, ce sont les lois, où des fables et des puérilités ont plus de puissance, par l’effet de l’habitude, que n’en aurait la vérité même. Il est des hommes qui n’admettent d’autres démonstrations que celles des mathématiques ; d’autres ne veulent que des exemples ; d’autres ne trouvent pas mauvais qu’on invoque le témoignage d’un poète. Il en est enfin qui demandent que tout soit rigoureusement démontré ; tandis que d’autres trouvent cette rigueur insupportable, ou bien parce qu’ils ne peuvent suivre la chaîne des démonstrations, ou bien parce qu’ils pensent que c’est se perdre dans des futilités. Il y a, en effet, quelque chose de cela dans l’affectation de la rigueur. Aussi quelques-uns la regardent-ils comme indigne d’un homme libre, non seulement dans la conversation, mais même dans la discussion philosophique. Il faut donc que nous apprenions avant tout quelle sorte de démonstration convient à chaque objet particulier ; car il serait absurde de mêler et la recherche de la science, et celle de sa méthode : deux choses dont l’acquisition présente de grandes difficultés. On ne doit pas exiger en tout la rigueur mathématique, mais seulement quand il s’agit d’objets immatériels. Aussi la méthode mathématique n’est-elle pas celle des physiciens ; car la matière est probablement le fond de toute la nature. Ils ont à examiner d’abord ce que c’est que la nature. De cette manière, en effet, ils verront clairement quel est l’objet de la physique, et si l’étude des causes et des principes de la nature est le partage d’une science unique ou de plusieurs sciences. »

    Athénagore écrira lui aussi sur les raisons pour lesquelles Dieu existe et pourquoi, un Chrétien ne peut être accusé d’Athéisme, dans Supplique aux Chrétiens, Chapitre 8 : « Écoutez maintenant comment nous prouvons l’existence d’un seul Dieu, créateur de cet univers, et vous verrez comment chez nous le raisonnement est d’accord avec la foi. S’il existe dès le commencement deux ou plusieurs dieux, assurément ils étaient dans un même lieu, où ils vivaient séparés. Or, ils ne pouvaient être ensemble ; car s’ils sont dieux, ils ne peuvent être semblables. Dès lors qu’ils sont incréés, ils sont différents ; ce n’est qu’entre les êtres créés et conformes à un modèle que peut se trouver quelque ressemblance, il n’en peut exister aucune entre des êtres incréés, parce que, ne sortant point d’un autre, ils n’ont point été formés sur lui. On dira peut-être que ces dieux étaient unis de manière à former les parties d’un seul et même tout, à peu près comme la main, l’œil, le pied et les autres parties du corps ne forment qu’un seul animal. Oui, s’il s’agissait d’un homme, de Socrate, par exemple, on pourrait dire qu’il est divisible et composé de plusieurs parties ; mais Dieu est incréé, impassible, inaltérable : dès lors il n’est sujet à aucune division ; mais si ses dieux vivent séparés, comme le Dieu créateur du monde est dans son ouvrage, au-dessus et autour de son ouvrage, où sont donc les autres dieux ? Car si le monde, puisqu’il est rond, se compose de sphères célestes, le créateur du monde remplit nécessairement son ouvrage, pour étendre à toutes les parties les soins de sa providence, où sera donc la place d’un autre dieu ou de plusieurs autres dieux ? Assurément elle n’est point dans le monde, puisque c’est le séjour d’un autre ; ni autour du monde, car le Dieu, créateur du monde, est au-dessus du monde. Si donc elle n’est ni dans le monde, ni autour du monde, puisque le créateur occupe toutes les parties de cette circonférence, où donc sera-t-elle ? Est-ce hors du monde et de Dieu ? Est-ce dans un autre monde, ou autour d’un autre monde ? Mais si cet autre Dieu est dans un autre monde, ou autour, il n’est pas autour de nous ; il ne règne pas sur nous ; dès lors son pouvoir n’est pas infini, puisqu’il est circonscrit dans un lieu déterminé. Si donc il n’est ni dans un autre monde, puisqu’il existe déjà un Dieu qui remplit tout, ni autour d’un autre monde puisque ce Dieu occupe tout, il s’ensuit qu’il n’existe nullement, puisqu’il ne lui reste aucun lieu qu’il puisse habiter. Quand même on le supposerait quelque part, que serait-il, puisque le monde est en la possession d’un autre et que lui-même, placé au-dessus du créateur du monde, ne serait ni dans le monde, ni autour du monde ? Il n’est assurément aucun lieu où cet autre dieu puisse se trouver, puisque le Dieu dont nous parlons remplit par sa présence tout ce qui est au-dessus du monde. A-t-il une providence ? Car il n’a rien fait, s’il ne veille sur rien. Eh bien ! s’il ne fait rien, s’il ne s’occupe de rien, s’il n’existe aucun lieu qu’il puisse habiter, il n’y a donc qu’un seul Dieu, un seul créateur du monde. »

    Athénagore est convaincu de l’existence d’un Dieu unique, et cette foi, qu’il explique et justifie à partir de postulats raisonnés pour lui, lui interdit de concevoir l’Athéisme autrement que comme une erreur grossière. Notons, à cet égard, que l’Athéisme antique n’a rien à voir avec celui que connaissent nos sociétés modernes. L’Athéisme antique, ne s’écrit pas avec les mêmes principes que nous retrouvons aujourd’hui, et qui définissent la non-croyance en Dieu comme une doctrine beaucoup plus politique que conceptuelle. Dans ce cadre, il faut comprendre que l’Athéisme moderne, issue de pensées développées principalement contre l’Église, n’a pas sa place dans la définition que pouvaient apporter sur ce point, les Philosophes Antiques. L’Athéisme moderne, ne se définit pas comme une non croyance individuelle, mais bien comme le rejet d’un groupe constitué, de la pensée religieuse d’un temps, de ses pratiques liturgiques et de ses rituels. Ainsi, l’Athéisme de groupe institualisé et développé politiquement, que l’on traduit pudiquement aujourd’hui en Laïcité, n’a rien à voir avec l’Athéisme privé, qui regarde le droit d’un individu à ne pas croire en l’existence de Dieu.

    Le plus célèbre des Athéistes, reste Karl Marx, qui déplace l’idée même de Dieu, en un postulat qui voit non pas s’affronter les idées théologiques, les dogmes et les Principes de la religion, mais bien l’homme contre l’homme, la charge épiscopale contre la charge du travail, le bourgeois contre le pauvre, le patron contre l’ouvrier. Si, pour Karl Marx, la Religion est l’opium du peuple, il n’en oublie pas de souligner que la Religion n’est qu’un chemin pour avancer vers Dieu, et non Dieu lui-même, suivant son ouvrage Critique de la philosophie du droit d’Hegel : « Pour l’Allemagne, la critique de la religion est finie en substance. Or, la critique de la religion est la condition première de toute critique. L’existence profane de l’erreur est compromise, dès que sa céleste oratio pro aris et focis a été réfutée. L’homme qui, dans la réalité fantastique du ciel où il cherchait un surhomme, n’a trouvé que son propre reflet, ne sera plus tenté de ne trouver que sa propre apparence, le non-homme, là où il cherche et est forcé de chercher sa réalité véritable. Le fondement de la critique irréligieuse est celui-ci : l’homme fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme. La religion est en réalité la conscience et le sentiment propre de l’homme qui, ou bien ne s’est pas encore trouvé, ou bien s’est déjà reperdu. Mais  l’homme n’est pas un être abstrait, extérieur au monde réel. L’homme, c’est  le monde de l’homme, l’État, la société. Cet État, cette société produisent la religion, une  conscience erronée du monde, parce qu’ils constituent eux-mêmes un monde faux. La religion est la théorie générale de ce monde, son compendium encyclopédique, sa logique sous une forme populaire, son  point d’honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, sa raison générale de consolation et de justification. C’est la réalisation fantastique de l’essence humaine, parce que l’essence humaine n’a pas de réalité véritable. La lutte contre la religion est donc par ricochet la lutte contre ce monde, dont la religion est l’arôme spirituel. La misère  religieuse est, d’une part, l’expression de la misère réelle, et, d’autre part, la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’une époque sans esprit. C’est l’opium du peuple. Le véritable bonheur du peuple exige que la religion soit supprimée en tant que bonheur illusoire du peuple. Exiger qu’il soit renoncé aux illusions concernant notre propre situation, c’est  exiger qu’il soit renoncé à  une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc, en germe, la critique de cette vallée de larmes, dont la religion est l’auréole. La critique a effeuillé les fleurs imaginaires qui couvraient la chaîne, non pas pour que l’homme porte la chaîne prosaïque et désolante, mais pour qu’il secoue la chaîne et cueille la fleur vivante. La critique de la religion désillusionne l’homme, pour qu’il pense, agisse, forme sa réalité comme un homme désillusionné, devenu raisonnable, pour qu’il se meuve autour de lui et par suite autour de son véritable soleil. La religion n’est que le soleil illusoire qui se meut autour de l’homme, tant qu’il ne se meut pas autour de lui-même. L’histoire a donc la mission, une fois que la vie future de la vérité s’est évanouie, d’établir la vérité de la vie présente. Et la première  tâche de la philosophie, qui est au service de l’histoire, consiste, une fois démasquée l’image sainte qui représentait la renonciation de l’homme à lui-même, à démasquer cette renonciation sous ses  formes profanes. La critique du ciel se transforme ainsi en critique de la terre, la critique de la religion en critique du droit, la critique de la théologie en critique de la politique. »      

    L’Athéisme antique n’est pas politique, mais purement idéologique et constitue à l’égard des dogmes pluriels qui déterminent le croyant, quelle que soit sa religion, une pratique qui pousse à l’excès et à l’impureté. C’est cela qu’Athénagore accuse, lorsqu’il écrit au Chapitre 4 de sa Supplique aux Chrétiens : « Et d’abord, à l’égard du crime d’impiété dont on nous accuse [il s’agit du crime d’Athéisme, car les Chrétiens ne fréquentaient pas les Temples] avec tant d’injustice, je dirai que les Athéniens eurent raison de condamner Diagoras comme athée. Non content de divulguer et de révéler à la foule les secrets d’Orphée, les sacrifices de Cérès, d’Éleusis, et les mystères des Cabres, il mutilait encore la statue d’Hercule, pour faire cuire ses légumes, et portait l’audace jusqu’à publier hautement, et devant qui voulait l’entendre, qu’il n’y avait point de Dieu. Peut-on nous appeler des athées, nous qui confessons l’existence d’un Dieu, qui le distinguons de la matière, qui mettons entre l’un et l’autre une si grande différence ? Car nous disons que Dieu est incréé et éternel, et que l’esprit seul et la raison peuvent le comprendre, tandis que la matière est créée et corruptible. Si nous pensions comme Diagoras, sur la Divinité, après toutes les preuves que nous avons sous les yeux des hommages qu’elle mérite à tant et à de si justes titres, témoins l’ordre invariable, l’harmonie constante, la grandeur, la magni-ficence, la beauté de l’univers, sans doute on aurait droit de nous accuser d’être des athées et de nous punir de mort. »

    Diagoras de Mélos ou Diagoras l’Athée, qu’Athénagore prend comme exemple, était un Poête et Philosophe du Ve Siècle avant Jésus-Christ. Celui-ci aurait expliqué aux non-initiés les Mystères des rituels d’Éleusis, dans un but qui n’était pas celui d’éclairer les profanes, mais dans celui de dénoncer l’existence des Dieux. Car, l’Athéisme dans le monde Antique, peut-être puni de mort. Les exemples sont nombreux, mais n’affectent pas Athénagore, qui trouve de l’aversion pour cette non-croyance, qui dépasse l’irrévérence religieuse dans la perversité des mœurs. C’est cela que condamne Athénagore, et plus spécifiquement une Philosophie matérialiste du IVe Siècle avant Jésus-Christ, l’Épicurisme. Cette doctrine, fut inventée par Épicure, dont la mère avait pour métier de passer de maison en maison, y exorciser les Démons. Épicure rencontra très tôt la Philosophie, en s’interrogeant sur un vers d’Hesiode dans sa Théogonie : « Le Chaos fut produit le premier de tous les Etres. » Qui donc avait créé le Chaos, s’il était le premier des Êtres ? Se demanda Épicure. Il trouva la réponse dans une doctrine qu’il institua en Ecole, et dont le principe d’enseignement était que le bonheur ne se trouvait que dans la volupté de l’esprit et de la vertu. Sa rencontre avec les Stoïtiens engendra une interprétation bien différente des principes liés à sa doctrine. Ils l’accusèrent de ruiner le culte des Dieux, et de plonger les hommes dans les plus horribles des débauches. Et en effet, Épicure avait une vision des Dieux assez particulière : Ils étaient oisifs et ne s’occupaient guère des choses qui regardaient les hommes. Épicure fut accusé de tous les vices, dont celui de prostituer les femmes qui fréquentaient son École, qui était mixte. Épicure, cependant, n’était pas purement Athée, mais ne reconnaissait pas de Dieu à l’image de ceux que les Temples présentaient. Pour lui, il y avait deux Etres, l’un nommé le Néant, c’est-à-dire le Vide, et l’autre, la Matière, composée d’un amas de différents corps indivisibles.

    Mais cette vision de l’Épicurisme était celle de son créateur. À sa mort, sa Philosophie fut déformée. Elle devint une doctrine vile, dans laquelle la soif de l’or, du luxe et de la débauche était suivie avec détermination. Les Dieux ne s’occupant pas des hommes, la vie après la mort devenait une douce fable, à laquelle aucun disciple ne croyait. Une déformation qui devint officielle, si bien que l’Épicurisme fut condamné jusque dans les Textes Saints et les Épîtres des Apôtres, comme celle de la Première Epître de Paul au Corinthiens, Chapitre 15, verset 32 : « Si les morts ne ressuscitent pas, Mangeons et buvons, car demain nous mourrons. » Pourquoi se préserver en croyant à une vie après la mort, puisque les Dieux ne s’intéressent pas à nous ?

    Croire en l’existence de Dieu, affirmation qu’Anthénagore ne saurait remettre en question, l’oblige à penser la vie et la mort de façon particulière. Et cette pensée, est conséquente à l’intime conviction que c’est Dieu qui a créé l’homme. La création n’étant pas chose futile ou hasardeuse pour un Philosophe, elle répond obligatoirement à des causes et des raisons qui échappent à la conscience humaine. Les penseurs antiques ne sont dans cette réflexion, nullement éloignés et différents de l’homme de la rue, antique ou moderne. Les interrogations fondamentales, pour ne pas dire méthaphysiques taraudent en effet depuis la nuit des temps, les consciences : d’où venons-nous ? ; Quelle est notre place dans le monde et l’univers ? ; Quelle est notre raison d’être, de vivre et de mourir ?

    De nombreux Philosophes et de Théologiens, ont tenté d’apporter une réponse à ces interrogations. Souvenons-nous toutefois, que c’est l’Antiquité qui la première, à énoncer dans des proverbes, des réponses aussi énigmatiques que faciles à entendre. Des proverbes, presque des hymnes, reprises au Moyen-Age, à la Renaissance et à l’époque contemporaine. Le Cogito, le Je pense, donc je suis de Descartes, ou le Γν?θι σεαυτ?ν, plus connu sous la forme latine de Nosce te ipsum, c’est-à-dire Connais-toi toi-même, sont des invitations intemporelles qui restent des philosophies de vie encore enseignées de nos jours, malgré la perte involontaire du reste du message que l’on pouvait lire sur le fronton du Temple de Delphes : Connais-toi toi-même, et tu connaîtras le secret des Dieux et de l’Univers !

    Si cette question de l’existence de l’homme est si importante, c’est qu’il ne peut concevoir, consciemment ou non, sa perte, sa destruction, son effacement total après sa mort. Et cette idée inconcevable, prend force dans celle qui justifie l’existence de l’homme, par volonté de Dieu. Pourrait-il, créer un être aussi parfait et imparfait à la fois, pour le laisser disparaître à tout jamais, comme une chose sans intérêt, un animal sans utilité, sans objet, hormis celui de naître, manger, dormir, procréer et enfin mourir ?

    L’homme étant différent de l’animal, car il est un être pensant, il ne peut considérer cette différence que par la volonté de Dieu. Toutefois, l’homme est imparfait, fragile, attiré sans mal par le vice, par la facilité, par la paraisse et même, par la violence et la fornication. Il y a donc deux natures humaines : celle qui est em-portée par les sens et qui répond à des besoins corporels ; et celle qui suit la raison et la tempérance, et qui répond à la conscience entre le bien et le mal. Ces deux natures humaines, décomposent l’homme en deux Principes qui unis l’un à l’autre, n’en font plus qu’un. Le premier Principe est le Corps. Le deuxième Principe, est l’âme. Unification du corps et de l’âme, fait l’Homme.

    Ainsi, croire en l’existence d’un Dieu, unique ou non, n’est pas la seule donnée qui permit à Athénagore d’embrasser la foi Chrétienne. Athénagore croit également en l’âme, substance parfaite et divine, malheureusement rattachée à la puanteur du corps, sujet aux vices, aux maladies et condamnés à pourrir après la mort. Puisque Dieu existe pour Athénagore, la vie terrestre a une finalité définie par Dieu lui-même, son créateur. Et cette finalité, qui débouche inexorablement sur la mort, ne peut correspondre qu’à un seul dessein : une vie après la mort. Mais pour cela, et parce que tous les hommes ne se comportent pas tous de la même façon durant leur vie, un Jugement est nécessaire, afin de récompenser le méritant et de condamner l’abjecte. La mort, n’est donc qu’un passage.

    Athénagore, croit en ce Jugement qui conditionne la vie après la mort. N’oublions pas que ce Philosophe a été inité à l’École de Pensée d’Alexandrie. Dans cette formation, il a fréquenté nombre de penseurs, mais surtout, des Prêtres Egyptiens, toujours détenteurs des Mystères de leur foi. L’idée de Jugement, n’est donc pas une pensée religieuse qu’il découvre en étudiant la nouvelle religion du Christiannisme. Aux Mystères du Jugement après la mort, Athénagore y a été initié. Et l’initiation qu’il a reçue colle à merveille, avec ce qu’en disent les Textes Saints Chrétiens. En effet, la vision de la Vie après la mort des Chrétiens, n’est pas tirée de l’Ancien Testament que l’on attribue faussement à Moïse et aux Hébreux en général. La vision Chrétienne de la mort et de la vie après la vie, est purement une vision égyptienne. C’est ce que nous retrouvons en l’Évangile de Luc, au Chapitre 12, versets 1 à 53 (également en Matthieu aux Chapitres 6, 10, 12, 24 et en Marc aux Chapitres 3, 11 et 13) : « Sur ces entrefaites, les gens s’étant rassemblés par milliers, au point de se fouler les uns les autres, Jésus se mit à dire à ses disciples : Avant tout, gardez-vous du levain des pharisiens, qui est l’hypocrisie. Il n’y a rien de caché qui ne doive être découvert, ni de secret qui ne doive être connu. C’est pourquoi tout ce que vous aurez dit dans les ténèbres sera entendu dans la lumière, et ce que vous aurez dit à l’oreille dans les chambres sera prêché sur les toits. Je vous le dis, à vous qui êtes mes amis : Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et qui, après cela, ne peuvent rien faire de plus. Je vous montrerai qui vous devez craindre. Craignez celui qui, après avoir tué, a le pouvoir de jeter dans la géhenne [le feu de l’enfer] ; oui, je vous le dis, c’est lui que vous devez craindre. Ne vend-on pas cinq passereaux pour deux sous [c’était le prix à payer aux sacrificateurs juifs, pour entrer dans les Temples. Les passereaux y étaient sacrifiés au Dieu des juifs] ? Cependant, aucun d’eux n’est oublié devant Dieu. Et même les cheveux de votre tête sont tous comptés. Ne craignez donc point : vous valez plus que beaucoup de passereaux. Je vous le dis, quiconque me confessera devant les hommes, le Fils de l’homme le confessera aussi devant les anges de Dieu ; mais celui qui me reniera devant les hommes sera renié devant les anges de Dieu. Et quiconque parlera contre le Fils de l’homme, il lui sera pardonné ; mais à celui qui blasphémera contre le Saint-Esprit, il ne sera point pardonné. Quand on vous mènera devant les Temples, les magistrats et les autorités, ne vous inquiétez pas de la manière dont vous vous défendrez ni de ce que vous direz ; car le Saint-Esprit vous enseignera à l’heure même ce qu’il faudra dire. Quelqu’un dit à Jésus, du milieu de la foule : Maître, dis à mon frère de partager avec moi notre héritage. Jésus lui répondit : O homme, qui m’a établi pour être votre juge, ou pour faire vos partages ? Puis il leur dit : Gardez-vous avec soin de toute avarice ; car la vie d’un homme ne dépend pas de ses biens, fut-il dans l’abondance. Et il leur dit cette parabole : Les terres d’un homme riche avaient beaucoup rapporté. Et il raisonnait en lui-même, disant : Que ferai-je ? car je n’ai pas de place pour serrer ma récolte. Voici, dit-il, ce que je ferai : j’abattrai mes greniers, j’en bâtirai de plus grands, j’y amasserai toute ma récolte et tous mes biens ; et je dirai à mon âme : Mon âme, tu as beaucoup de biens en réserve pour plusieurs années ; repose-toi, mange, bois, et réjouis-toi. Mais Dieu lui dit : Insensé ! cette nuit même ton âme te sera redemandée ; et ce que tu as préparé, pour qui cela sera-t-il ? Il en est ainsi de celui qui amasse des trésors pour lui-même, et qui n’est pas riche pour Dieu. Jésus dit ensuite à ses disciples : C’est pourquoi je vous dis : Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous serez vêtus. La vie est plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement. Considérez les corbeaux : ils ne sèment ni ne moissonnent, ils n’ont ni cellier ni grenier ; et Dieu les nourrit. Combien ne valez-vous pas plus que les oiseaux ! Qui de vous, par ses inquiétudes, peut ajouter une coudée à la durée de sa vie ? Si donc vous ne pouvez pas même la moindre chose, pourquoi vous inquiétez-vous du reste ? Considérez comment croissent les lys : ils ne travaillent ni ne filent ; cependant je vous dis que Salomon même, dans toute sa gloire, n’a pas été vêtu comme l’un d’eux. Si Dieu revêt ainsi l’herbe qui est aujourd’hui dans les champs et qui demain sera jetée au four, à combien plus forte raison ne vous vêtira-t-il pas, gens de peu de foi ? Et vous, ne cherchez pas ce que vous mangerez et ce que vous boirez, et ne soyez pas inquiets. Car toutes ces choses, ce sont les païens du monde qui les recherchent. Votre Père sait que vous en avez besoin. Cherchez plutôt le royaume de Dieu ; et toutes ces choses vous seront données par-dessus. Ne crains point, petit troupeau ; car votre Père a trouvé bon de vous donner le royaume. Vendez ce que vous possédez, et donnez-le en aumônes. Faites-vous des bourses qui ne s’usent point, un trésor inépuisable dans les cieux, où le voleur n’approche point, et où la teigne ne détruit point. Car là où est votre trésor, là aussi sera votre coeur. Que vos reins soient ceints [soyez prêts], et vos lampes allumées [la mort peut frapper n’importe quand]. Et vous, soyez semblables à des hommes qui attendent que leur maître revienne des noces, afin de lui ouvrir dès qu’il arrivera et frappera. Heureux ces serviteurs que le maître, à son arrivée, trouvera veillant ! Je vous le dis en vérité, il se ceindra, les fera mettre à table, et s’approchera pour les servir. Qu’il arrive à la deuxième ou à la troisième veille, heureux ces serviteurs, s’il les trouve veillants ! Sachez-le bien, si le maître de la maison savait à quelle heure le voleur doit venir, il veillerait et ne laisserait pas percer sa maison. Vous aussi, tenez-vous prêts, car le Fils de l’homme viendra à l’heure où vous n’y penserez pas. Pierre lui dit : Seigneur, est-ce à nous, ou à tous, que tu adresses cette parabole ? Et le Seigneur dit : Quel est donc l’économe fidèle et prudent que le maître établira sur ses gens, pour leur donner la nourriture au temps convenable ? Heureux ce serviteur, que son maître, à son arrivée, trouvera faisant ainsi ! Je vous le dis en vérité, il l’établira sur tous ses biens. Mais, si ce serviteur dit en lui-même : Mon maître tarde à venir ; s’il se met à battre les serviteurs et les servantes, à manger, à boire et à s’enivrer, le maître de ce serviteur viendra le jour où il ne s’y attend pas et à l’heure qu’il ne connaît pas, il le mettra en pièces, et lui donnera sa part avec les infidèles. Le serviteur qui, ayant connu la volonté de son maître, n’a rien préparé et n’a pas agi selon sa volonté, sera battu d’un grand nombre de coups. Mais celui qui, ne l’ayant pas connue, a fait des choses dignes de châtiment, sera battu de peu de coups. On demandera beaucoup à qui l’on a beaucoup donné, et on exigera davantage de celui à qui l’on a beaucoup confié. Je suis venu jeter un feu sur la terre, et qu’ai-je à désirer, s’il est déjà allumé ? Il est un baptême dont je dois être baptisé, et combien il me tarde qu’il soit accompli ! Pensez-vous que je sois venu apporter la paix sur la terre ? Non, vous dis-je, mais la division. Car désormais cinq dans une maison seront divisés, trois contre deux, et deux contre trois ; le père contre le fils et le fils contre le père, la mère contre la fille et la fille contre la mère, la belle-mère contre la belle-fille et la belle-fille contre la belle-mère. Il dit encore aux foules : Quand vous voyez un nuage se lever à l’occident, vous dites aussitôt : La pluie vient. Et il arrive ainsi. Et quand vous voyez souffler le vent du midi, vous dites : Il fera chaud. Et cela arrive. Hypocrites ! Vous savez discerner l’aspect de la terre et du ciel ; comment ne discernez-vous pas ce temps-ci ? Et pourquoi ne discernez-vous pas de vous-mêmes ce qui est juste ? Lorsque tu vas avec ton adversaire devant le magistrat, tâche en chemin de te dégager de lui, de peur qu’il ne te traîne devant le juge, que le juge ne te livre à l’officier de justice, et que celui-ci ne te mette en prison. Je te le dis, tu ne sortiras pas de là que tu n’aies payé jusqu’à ta dernière pièce. »

    Pour les premiers Chrétiens, la vie toute entière, à l’image de la pensée égyptienne antique, doit être tournée vers la perfection, afin de pouvoir se présenter avec honneur devant le Tribunal de Dieu, le jour de son Jugement. Car, le Jugement est annonciateur de la Resurrection des morts. L’idée de Résurrection, n’est pas issue de la seule pensée Chrétienne. Sans détailler la théologie de l’Égypte Ancienne, le Christ, avec sa mort sur la Croix, n’en est pas le précurseur. Les Textes Saints en témoignent, puisque la Résurrection de Lazare par le Christ lui-même, confirme ce fait, en l’Évangile de Jean, au Chapitre 11, versets 1 à 44 : « Il y avait un homme malade, Lazare, de Béthanie, village de Marie et de Marthe, sa soeur. C’était cette Marie qui oignit de parfum le Seigneur et qui lui essuya les pieds avec ses cheveux, et c’était son frère Lazare qui était malade. Les soeurs envoyèrent dire à Jésus : Seigneur, voici, celui que tu aimes est malade. Après avoir entendu cela, Jésus dit : Cette maladie n’est point à la mort ; mais elle est pour la gloire de Dieu, afin que le Fils de Dieu soit glorifié par elle. Or, Jésus aimait Marthe, et sa soeur, et Lazare. Lors donc qu’il eut appris que Lazare était malade, il resta deux jours encore dans le lieu où il était, et il dit ensuite aux disciples : Retournons en Judée. Les disciples lui dirent : Maître, les Juifs tout récemment cher-chaient à te lapider, et tu retournes en Judée ! Jésus répondit : N’y a-t-il pas douze heures au jour ? Si quelqu’un marche pendant le jour, il ne bronche point, parce qu’il voit la lumière de ce monde ; mais, si quelqu’un marche pendant la nuit, il bronche, parce que la lumière n’est pas en lui. Après ces paroles, il leur dit : Lazare, notre ami, dort ; mais je vais le réveiller. Les disciples lui dirent : Seigneur, s’il dort, il sera guéri. Jésus avait parlé de sa mort, mais ils crurent qu’il parlait de l’assoupissement du sommeil. Alors Jésus leur dit ouvertement : Lazare est mort. Et, à cause de vous, afin que vous croyiez, je me réjouis de ce que je n’étais pas là. Mais allons vers lui. Sur quoi Thomas, appelé Didyme, dit aux autres disciples : Allons aussi, afin de mourir avec lui. Jésus, étant arrivé, trouva que Lazare était déjà depuis quatre jours dans le sépulcre. Et, comme Béthanie était près de Jérusalem, à quinze stades environ, beaucoup de Juifs étaient venus vers Marthe et Marie, pour les consoler de la mort de leur frère. Lorsque Marthe apprit que Jésus arrivait, elle alla au-devant de lui, tandis que Marie se tenait assise à la maison. Marthe dit à Jésus : Seigneur, si tu eusses été ici, mon frère ne serait pas mort. Mais, maintenant même, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera. Jésus lui dit : Ton frère ressuscitera. Je sais, lui répondit Marthe, qu’il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour. Jésus lui dit : Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra, quand même il serait mort ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? Elle lui dit : Oui, Seigneur, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, qui devait venir dans le monde. Ayant ainsi parlé, elle s’en alla. Puis elle appela secrètement Marie, sa soeur, et lui dit : Le maître est ici, et il te demande. Dès que Marie eut entendu, elle se leva promptement, et alla vers lui. Car Jésus n’était pas encore entré dans le village, mais il était dans le lieu où Marthe l’avait rencontré. Les Juifs qui étaient avec Marie dans la maison et qui la consolaient, l’ayant vue se lever promptement et sortir, la suivirent, disant : Elle va au sépulcre, pour y pleurer. Lorsque Marie fut arrivée là où était Jésus, et qu’elle le vit, elle tomba à ses pieds, et lui dit : Seigneur, si tu eusses été ici, mon frère ne serait pas mort. Jésus, la voyant pleurer, elle et les Juifs qui étaient venus avec elle, frémit en son esprit, et fut tout ému. Et il dit : Où l’avez-vous mis ? Seigneur, lui répondirent-ils, viens et vois. Jésus pleura. Sur quoi les Juifs dirent : Voyez comme il l’aimait. Et quelques-uns d’entre eux dirent : Lui qui a ouvert les yeux de l’aveugle, ne pouvait-il pas faire aussi que cet homme ne mourût point ? Jésus frémissant de nouveau en lui-même, se rendit au sépulcre. C’était une grotte, et une pierre était placée devant. Jésus dit : Otez la pierre. Marthe, la soeur du mort, lui dit : Seigneur, il sent déjà, car il y a quatre jours qu’il est là. Jésus lui dit : Ne t’ai-je pas dit que, si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ? Ils ôtèrent donc la pierre. Et Jésus leva les yeux en haut, et dit : Père, je te rends grâces de ce que tu m’as exaucé. Pour moi, je savais que tu m’exauces toujours ; mais j’ai parlé à cause de la foule qui m’entoure, afin qu’ils croient que c’est toi qui m’as envoyé. Ayant dit cela, il cria d’une voix forte : Lazare, sors ! Et le mort sorti, les pieds et les mains liés de bandes, et le visage enveloppé d’un linge. Jésus leur dit : Déliez-le, et laissez-le aller. »

    Qu’advient-il de Lazare ? La Bible ne nous le révèle en rien, alors que tout le mystère pourrait en être éclairé. En effet, la Résurrection n’est ni la réincarnation, ni une deuxième chance offerte après une vie finie. Lazare revenu à la vie, ne s’est-il pas perdu dans un monde humain qu’il avait quitté justement, et dans lequel il n’avait plus sa place ? Que pouvait-il encore réaliser, lui qui avait connu les limbes du royaume des morts, desquelles, hormis dans la Mythologie grecque, les Héros ne s’échappent pas ?

    L’origine de la croyance en la Résurrection, est Egyptienne, bien que le Christianisme en ait modifié l’idée principale. Le principe religieux s’inscrit dans un Jugement des vivants, qui induit l’existence d’une vie après la mort. Là où les Anciens Égyptiens traduisent le trépas comme un commencement véritable de l’Etre (Âme et Corps) dans la condition réelle où il a été créé, le Christiannisme va interpréter cet état réel de révélation de l’Etre après la mort, à une condition tirée de la vie passée. L’Égyptien meurt pour assurer sa vie après son trépas (vision positive), alors que le Chrétien vie pour s’assurer de ne pas souffrir l’enfer après sa mort (vision négative).

    Le Jugement divin existe dans ces deux croyances. Et, c’est la période de vie qui est jugée pour les bienfaits et le respect de certaines règles édictées par la Religion suivie. Cependant, ces Règles ne sont pas écrites suivant les mêmes principes, et les objectifs de fin, bien que peu éloignés, ne sont pas identiques. Les Égyptiens sont jugés pour revivre selon l’état connu durant leur existence. Ils étaient Pharaon, Soldat, Chapentier ou Maçon, ils retourneront à leur condition de Pharaon, Soldat, Chapentier ou Maçon après leur jugement, mais au royaume des morts, pas dans celui des vivants.

    Pour les Chrétiens, le jugement est différent. Ils sont jugés dans l’espérance d’atteindre la perfection et le paradis, en la présence de Dieu. C’est un autre état d’existence et de raison qu’ils espèrent connaître, et non une continuation de leur vie terrestre, matérielle et humaine. Ce point est important et se confronte à une Écriture Sainte qui multiplie pourtant les Résurrections des vivants sur la terre des hommes :

  1. Luc Chapitre 7, versets 11 à 17 : « Le jour suivant, Jésus alla dans une ville appelée Naïn ; ses disciples et une grande foule faisaient route avec lui. Lorsqu’il fut près de la porte de la ville, voici, on portait en terre un mort, fils unique de sa mère, qui était veuve ; et il y avait avec elle beaucoup de gens de la ville. Le Seigneur, l’ayant vue, fut ému de compassion pour elle, et lui dit : Ne pleure pas ! Il s’approcha, et toucha le cercueil. Ceux qui le portaient s’arrêtèrent. Il dit : Jeune homme, je te le dis, lève-toi ! Et le mort s’assit, et se mit à parler. Jésus le rendit à sa mère. Tous furent saisis de crainte, et ils glorifiaient Dieu, disant : Un grand prophète a paru parmi nous, et Dieu a visité son peuple. Cette parole sur Jésus se répandit dans toute la Judée et dans tout le pays d’alentour. »
  2. Luc Chapitre 8, versets 40 à 56 (également en Matthieu 9, 18 à 26 et Marc 5, 21 à 43) : « A son retour, Jésus fut reçu par la foule, car tous l’attendaient. Et voici, il vint un homme, nommé Jaïrus, qui était chef de la synagogue. Il se jeta à ses pieds, et le supplia d’entrer dans sa maison, parce qu’il avait une fille unique d’environ douze ans qui se mourait. Pendant que Jésus y allait, il était pressé par la foule. Or, il y avait une femme atteinte d’une perte de sang depuis douze ans, et qui avait dépensé tout son bien pour les médecins, sans qu’aucun ait pu la guérir. Elle s’approcha par-derrière, et toucha le bord du vêtement de Jésus. Au même instant la perte de sang s’arrêta. Et Jésus dit : Qui m’a touché ? Comme tous s’en défendaient, Pierre et ceux qui étaient avec lui dirent : Maître, la foule t’entoure et te presse, et tu dis : Qui m’a touché ? Mais Jésus répondit : Quelqu’un m’a touché, car j’ai connu qu’une force était sortie de moi. La femme, se voyant découverte, vint toute tremblante se jeter à ses pieds, et déclara devant tout le peuple pourquoi elle l’avait touché, et comment elle avait été guérie à l’instant. Jésus lui dit : Ma fille, ta foi t’a sauvée ; va en paix. Comme il parlait encore, survint de chez le chef de la synagogue quelqu’un disant : Ta fille est morte ; n’importune pas le maître. Mais Jésus, ayant entendu cela, dit au chef de la synagogue : Ne crains pas, crois seulement, et elle sera sauvée. Lorsqu’il fut arrivé à la maison, il ne permit à personne d’entrer avec lui, si ce n’est à Pierre, à Jean et à Jacques, et au père et à la mère de l’enfant. Tous pleuraient et se lamentaient sur elle. Alors Jésus dit : Ne pleurez pas ; elle n’est pas morte, mais elle dort. Et ils se moquaient de lui, sachant qu’elle était morte. Mais il la saisit par la main, et dit d’une voix forte : Enfant, lève-toi. Et son esprit revint en elle, et à l’instant elle se leva ; et Jésus ordonna qu’on lui donnât à manger. Les parents de la jeune fille furent dans l’étonnement, et il leur recommanda de ne dire à personne ce qui était arrivé. »

    Les résurrections que nous venons de relever, sont discordantes du dogme réel portant sur le Jugement de Dieu, car ce Jugement est celui qui doit arriver aux derniers jours, suivant Apocalypse, au Chapitre 20 : « Puis je vis descendre du ciel un ange, qui avait la clef de l’abîme et une grande chaîne dans sa main. Il saisit le dragon, le serpent ancien, qui est le diable et Satan, et il le lia pour mille ans. Il le jeta dans l’abîme, ferma et scella l’entrée au-dessus de lui, afin qu’il ne séduisît plus les nations, jusqu’à ce que les mille ans fussent accomplis. Après cela, il faut qu’il soit délié pour un peu de temps. Et je vis des trônes ; et à ceux qui s’y assirent fut donné le pouvoir de juger. Et je vis les âmes de ceux qui avaient été décapités à cause du témoignage de Jésus et à cause de la parole de Dieu, et de ceux qui n’avaient pas adoré la bête ni son image, et qui n’avaient pas reçu la marque sur leur front et sur leur main. Ils revinrent à la vie, et ils régnèrent avec Christ pendant mille ans. Les autres morts ne revinrent point à la vie jusqu’à ce que les mille ans fussent accomplis. C’est la première résurrection. Heureux et saints ceux qui ont part à la première résurrection ! La seconde mort n’a point de pouvoir sur eux ; mais ils seront sacrificateurs de Dieu et de Christ, et ils régneront avec lui pendant mille ans. Quand les mille ans seront accomplis, Satan sera relâché de sa prison. Et il sortira pour séduire les nations qui sont aux quatre coins de la terre, Gog et Magog, afin de les rassembler pour la guerre ; leur nombre est comme le sable de la mer. Et ils montèrent sur la surface de la Terre, et ils investirent le camp des saints et la ville bien-aimée. Mais un feu descendit du ciel, et les dévora. Et le diable, qui les séduisait, fut jeté dans l’étang de feu et de soufre, où sont la bête et le faux prophète. Et ils seront tourmentés jour et nuit, aux siècles des siècles. Puis je vis un grand trône blanc, et celui qui était assis dessus. La terre et le ciel s’enfuirent devant sa face, et il ne fut plus trouvé de place pour eux. Et je vis les morts, les grands et les petits, qui se tenaient devant le trône. Des livres furent ouverts. Et un autre livre fut ouvert, celui qui est le livre de vie. Et les morts furent jugés selon leurs oeuvres, d’après ce qui était écrit dans ces livres. La mer rendit les morts qui étaient en elle, la mort et le séjour des morts rendirent les morts qui étaient en eux ; et chacun fut jugé selon ses oeuvres. Et la mort et le séjour des morts furent jetés dans l’étang de feu. C’est la seconde mort, l’étang de feu. Quiconque ne fut pas trouvé écrit dans le livre de vie fut jeté dans l’étang de feu. »

    L’idée de Résurrection, est une croyance qu’il ne faut pas confondre avec la Réincarnation. Pour les premiers Chrétiens, celui qui est ressuscité l’est avec tous les attributs qui le faisaient être homme : son corps, comme son âme. Il apparaît alors, un problème épineux, celui du veuvage et du remariage, comme le souligne Luc au Chapitre 20 et aux versets 27 à 40 (également en Matthieu 22, 23 à 33 et en Marc 12, 18 à 27) : « Quelques-uns des sadducéens, qui disent qu’il n’y a point de résurrection, s’ap-prochèrent, et posèrent à Jésus cette question : Maître, voici ce que Moïse nous a prescrit : Si le frère de quelqu’un meurt, ayant une femme sans avoir d’enfants, son frère épousera la femme, et suscitera une postérité à son frère. Or, il y avait sept frères. Le premier se maria, et mourut sans enfants. Le second et le troisième épousèrent la veuve ; il en fut de même des sept, qui moururent sans laisser d’enfants. Enfin, la femme mourut aussi. À la résurrection, duquel d’entre eux sera-t-elle donc la femme ? Car les sept l’ont eue pour femme. Jésus leur répondit : Les enfants de ce siècle prennent des femmes et des maris ; mais ceux qui seront trouvés dignes d’avoir part au siècle à venir et à la résurrection des morts ne prendront ni femmes ni maris. Car ils ne pourront plus mourir, parce qu’ils seront semblables aux anges, et qu’ils seront fils de Dieu, étant fils de la résurrection. Que les morts ressuscitent, c’est ce que Moïse a fait connaître quand, à propos du buisson, il appelle le Seigneur le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, et le Dieu de Jacob. Or, Dieu n’est pas Dieu des morts, mais des vivants ; car pour lui tous sont vivants. Quelques-uns des scribes, prenant la parole, dirent : Maître, tu as bien parlé. Et ils n’osaient plus lui faire aucune question. »

    Outre la question du remariage (et non du divorce interdit par l’Église), est celui de la destruction du corps après la mort. En effet, la Résurrection sous-entend la recréation du corps et l’unification de l’âme à celui-ci. Dixit la crémation après la mort ? Le feu fut longtemps concidéré comme destructeur pour la chair, et donc interdit par l’Eglise, car contraire aux Écritures Sainte et notamment au Verset 19, du Chapitre 3 du Livre de la Genèse : « C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu’à ce que tu retournes dans la terre, d’où tu as été pris ; car tu es poussière, et tu retourneras dans la poussière. » Notons qu’il faudra attendre la levée de l’interdit en 1963 et sa parution en décret en 1964, pour que l’Église Catholique tolère officiellement la crémation des défunts.

    La perfection est admise dans l’unité de l’âme et du corps, dans l’unité de ces deux principes qui construisent celui qui est mort. Et cette notion, a fait naître des courants bien différents au sein même de la Chrétienté. Les Cathares par exemple, bien que Chrétiens, ne supposaient pas la Résurrection comme l’exigeait l’Église de Rome. Ils pensaient que les âmes, après leur jugement, ne retournaient pas dans le corps qu’elles avaient emprunté durant leur vie terrestre, mais dans un autre réceptacle qui était suivant la qualité de celui-ci, les résultats mêmes du Jugement de Dieu. Celui qui avait atteint la perfection, durant sa vie et après sa mort, et que l’on nommait alors Parfait, avait été réincarné en un autre homme. Alors que celui qui avait fauté ou mal apprécié durant sa vie, les dogmes et les actions qu’il devait suivre, pouvait être réincarné en poule, ou en vache. Ainsi, pour ne pas dévorer une âme, en tuant un être réincarné, les Cathares français, les Albigeois, ne mangeaient jamais de chair animale, chair susceptible d’être habitée par l’âme d’un pécheur réincarné qui pouvait être de leur famille.

    Les différentes croyances Chrétiennes en la Résurrection, ont amené l’ouverture de pensées considérées comme de véritables Hérésies pour l’Église Chrétienne, qu’elle soit Romaine ou Orthodoxe. La création de l’Ordre Dominicain, c’est-à-dire l’Ordre à qui la papauté confia la création et l’institution de l’Inquisition, en est le résultat. Car, soumettre des différences de pensées sur l’idée même de Résurrection, c’est admettre que l’on peut remettre en doute la principale, celle de Jésus Christ mort sur la Croix et Ressuscité. Or, ce Mystère ne peut-être remis en cause ni même discuté, sans toucher aux principaux dogmes de la foi Chrétienne. Seul Dieu et son Fils, parce qu’il est mort sur la Croix pour nous sauver, après le Jugement Dernier, feront se relever les morts de leur tombeau, comme nous le dit l’Évangile de Jean, au Chapitre 5 et au verset 25 : « En vérité, en vérité, je vous le dis, l’heure vient, et elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu ; et ceux qui l’auront entendue vivront. » Dixit encore une fois, la Résurection de Lazare et toutes les autres par Jésus vivant ?

    Que de fascinants propos, pour les Nécromanciens, que de trouver dans les Textes-Saints, des échos à leurs recherches morbides. L’Art de la Magie Noire, va s’inspirer de ces échos, en épluchant non seulement les Textes, comme ceux de la Sorcière d’Endor dans le Premier Livre de Samuel au Chapitre 28, mais en étudiant ceux des anciennes cultures dans les Écrits Grecs et Arabes. Mais toutefois, c’est principalement dans la Bible, dans l’Ancien comme dans le Nouveau Testament, que nous rencontrons ces hommes et ces femmes qui font revivre les morts. Ouvrir la discussion sur la possibilité de concevoir une âme, accessible, c’est soumettre à certains hommes et à certaines femmes, aux esprits peu catholiques, l’idée de s’attacher le service de cette âme. Il n’est donc pas étonnant de voir apparaître dès l’antiquité, des récits et plus tard, des Grimoires Magiques de Sorcellerie, dans lesquels sont détaillés les recettes pour interroger les morts et pour enfermer l’âme d’une personne dans un objet, une bague, un bâton, une arme. Le Pacte de Faust, qui vend son âme pour vivre une deuxième vie, est la résurgence de ces antiques procédés magiques. D’où l’inquiétude des Philosophes d’Athènes et d’ailleurs, dont était issue Athénagore. Une religion qui mange son Dieu et qui en boit le sang, est-ce vraiment un rituel symbolique, ou une école de pensée subversive ?

    Pourtant, l’Église d’hier comme d’aujourd’hui est intransigeante sur le sujet : l’âme humaine n’est la propriété que de Dieu. Nul homme n’en est le détenteur !

    De là, la naissance d’un déterminisme qui imposera ses marques sur les civilisations européennes, démontrant la supériorité de certains hommes sur d’autres, suivant une obligatoire et nécessaire volonté de Dieu. Et, cette intransigeance entraîne inévitablement un rapport hiérarchique entre les êtres, dégageant dans les sociétés et sous-sociétés, comme les corps de métiers et les Sociétés Secrètes, l’attribution de titres et de Grades plus ou moins divin. Nous avons parlé des Parfaits chez les Cathares, parlons de Saints et de Pères de l’Église pour les Religieux, ou de Par Dieu et De Titre Divin pour les Nobles Aristocrates, ou de Chevaliers des Neuf, du Saint-Sépulcre ou Kadosh pour les Obédiances Maçonniques.

    Si l’âme n’entre qu’une seule fois dans le corps d’un homme, avant sa Résurrection Totale, c’est-à-dire la reconstitution au jour du Jugement dernier, de l’enveloppe charnelle qui y recevra l’unique habitant divin, c’est pour une raison lumineuse, celle de la seule et logique volonté de Dieu. Alors, l’homme peut traduire cette logique. L’esclavage peut être justifié par l’importance que Dieu attache plus ou moins, à l’âme humaine. Cette position, bien que discutée lors de débat où se rencontreront les Hommes de Dieu et les savants, trouvera en la ville de Valladolid au milieu du XVIe Siècle, une conclusion cynique : les Indiens d’Amérique ayant une âme, on ne peut les considérer comme des animaux ; les Négres d’Afrique n’ayant pas d’âme, ils seront réduits à l’esclavage. C’est la naissance et la justification suivant des principes chrétiens, de la traite des noirs et l’ouverture vers l’officialisation du commerce triangulaire.

    Mais, Athénagore est loin d’embrasser la nouvelle Religion qui pénètre l’Empire Romain, avec ces données humaines et historiques. C’est ce que nous allons voir maintenant, grâce à son Traité sur la Résurrection des Morts.